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5 août 2015

Tim Geithner révèle sans détour comment les dirigeants de l’Europe ont tenté un suicide financier

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4 Août 2015

Des transcriptions de l’ancien secrétaire au trésor américain dévoilent une panoplie d’erreurs qui hanteront l’Europe pour des années, aggravée par une rigueur déplacée.

Tim Geithner a découvert ce à quoi il allait être confronté dès février 2010 au G7 | Photo : ReutersPar Ambrose Evans-Pritchard

 

Nous le savons désormais : les dirigeants de l’Europe ont bien tenté de renvoyer la Grèce à l’âge de pierre dans une rage rancunière, ont comploté pour suspendre toute aide à la dette de l’Italie tant que son dirigeant élu n’était pas chassé, et ont “géré” la crise dans l’union monétaire européenne pendant trois ans avec une stupidité à faire pleurer.

Timothy Geithner a révélé les détails, tout aussi déplaisants qu’alarmants. L’ancien secrétaire au trésor des États-Unis a fait allusion à ces “défauts” dans son mémoire, Stress Test : Reflections on Financial Crises.

Peter Spiegel, du Financial Times, a obtenu les transcriptions brutes, parsemées de jurons.

Le verdict est sans appel. “J’ai complètement sous-estimé la possibilité qu’ils s’agiteraient pendant trois ans. Il m’était tout simplement inconcevable qu’ils laisseraient la situation empirer à ce point”, dit M. Geithner.

Il a découvert ce à quoi il allait être confronté dès février 2010 lors d’un meeting du G7 qui, étrangement, se tenait dans la ville canadienne d’Iqaluit, dans la Baie de Frobisher. On savait déjà que le déficit budgétaire de la Grèce était de 12% du PIB (et non pas 6% comme annoncé précédemment) et que le marché obligataire grec allait dans le décor.

Geithner : Je me souviens être allé dîner en regardant mon BlackBerry. C’était un p***n de désastre en Europe. Les actions des banques françaises avaient perdu 7 ou 8 points. C’était énorme. Pour moi, vous aviez un carnage complet classique parce que les gens disaient : crise en Grèce, qui est exposé à la Grèce ?

Je l’ai dit à ce dîner, à ce meeting, parce que les Européens se pointaient en déclarant en gros : “Nous allons donner une leçon aux Grecs. Ils sont vraiment horribles. Ils nous ont menti. Ils sont nuls, ils gaspillent, ils ont profité de tout ça et on va les écraser.” C’était à peu de chose près leur attitude, à tous.

Mais la chose importante, c’est que je leur ai dit : “Vous pouvez leur marcher dessus si c’est que vous voulez faire. Mais pour compenser, vous devez faire en sorte d’envoyer un signal rassurant à l’Europe et au monde entier, montrer que vous allez tenir les choses en main et ne pas lâcher. Vous allez protéger le reste.

J’ai été très clair avec eux dès le départ. On les entendait pousser des cris à glacer le sang sur l’aléa moral, et je leur ai dit : “D’accord. Si vous voulez être durs avec eux, ça va, mais vous devez contrebalancer en faisant bien comprendre que vous n’allez pas laisser la crise s’étendre en dehors de la Grèce. Vous devez mettre tout votre soin et vos efforts à rendre cette détermination crédible au moment où vous donnerez leur leçon aux Grecs.

Journaliste : Est-ce que vous aviez un pressentiment du genre “oh mon Dieu, ces types vont juste…”

Geithner : Ouais. J’avais vraiment… bien sûr, comme je pense l’avoir dit ailleurs, j’avais complètement sous-estimé la possibilité qu’ils brasseraient du vent pendant trois ans. Il m’était tout simplement inconcevable qu’ils laisseraient la situation empirer à ce point. Mais ces présages étaient déjà visibles dans le débat initial. Les Grecs leur avaient menti. C’était embarrassant parce que les Grecs avaient emprunté tout cet argent et ils étaient furieux, en mode “sortez les battes”.

Ils voulaient juste les tabasser. Mais en le faisant, ils risquaient de mettre le feu aux poudres. Ne manquait plus qu’une allumette.

M. Geithner est resté atterré par l’accord de Deauville en octobre 2010 (entre la chancelière Angela Merkel et le président français Nicolas Sarkozy) qui imposerait une diminution aux détenteurs de titres souverains avant même qu’un mécanisme soit mis en place pour mettre fin à la contagion.

Geithner : C’était une incroyable erreur d’appréciation des dégâts. Ils ont tenu un sommet à Deauville en France, où Sarkozy, afin que Merkel arrête avec ses histoires d’union fiscale (ce qui était très difficile pour lui politiquement, vous savez, voir la France se placer sous la coupe de l’Allemagne en matière fiscale, du moins c’était la politique française). Donc Sarkozy se résout à soutenir Merkel sur cette réduction.

J’étais au cap Cod pour Thanksgiving et je me souviens d’avoir appelé le G7 depuis Le Cap dans ma petite chambre d’hôtel. Et en gros j’ai dit, comme Trichet, j’ai été grossier et j’ai dit : si vous faites ça, vous ne ferez qu’accélérer la fuite des capitaux d’Europe. Personne ne prêtera un dollar, un euro, à un gouvernement européen s’il est faible dans ce contexte parce que la logique sera, s’ils ont besoin d’argent, il y aura une restructuration, une réduction de la valeur de la dette. Cela inverse complètement les incitations que vous voulez créer.

J’étais hors de moi et j’ai dit il est possible que vous ayez à le faire – je ne me rappelle plus exactement comment je l’ai dit – c’est possible, si vous avez l’intention de restructurer la Grèce, mais à moins d’avoir la capacité à protéger ou à garantir le reste de l’Europe contre la contagion qui va s’ensuivre, c’est l’exacte métaphore de notre crise de 2008. Vous ne pouvez pas faire ça.

A ce moment, Trichet était complètement hors de ses gonds contre eux, et leur a dit : “Vous ne pouvez pas tenir ces paroles en l’air sur la réduction de la dette avant d’être dans une meilleure position pour garantir et protéger le reste de l’Europe de la contagion et de tout ce qui s’est passé.”

Au sujet de l’Italie, nous savons déjà grâce au livre de M. Geithner que les dirigeants de l’union monétaire européenne ont essayé de convaincre Obama de soutenir leur putsch contre le premier ministre Silvio Berlusconi en 2011. Leur requête fut rejetée. “Nous ne pouvons pas avoir du sang sur les mains”, furent les mots exacts. Les transcriptions en donnent toute la saveur.

Geithner : Pour abonder dans leur sens, les Allemands savent d’expérience qu’à chaque fois qu’ils achètent un peu de calme, et que les spreads Italiens se rapprochent, Berlusconi revient sur tout ce qu’il avait promis. Ils étaient juste paranoïaques à l’idée que chaque geste de générosité soit reçu par une sorte de “allez vous faire foutre” de l’establishment des pays plus faibles en Europe, l’establishment politique, et les Allemands étaient quasiment hystériques. Sarkozy, qui essaie de naviguer entre la perception allemande de la crise et le fait que la France souffrait beaucoup des dégâts collatéraux elle aussi, et parce que l’Europe s’affaiblit, il est en campagne. Il essaie de trouver un moyen pour établir une passerelle.

Il y a eu un sommet du G20 en France dont Sarkozy était l’hôte, qui était incroyablement intéressant, fascinant pour nous et pour le président et j’aborde ça rapidement pour pouvoir y revenir. Les Européens nous ont en fait approchés doucement, indirectement avant l’évènement en disant : “Nous aimerions que vous vous joignez à nous pour éjecter Berlusconi.” Ils voulaient que nous disions que nous ne soutiendrions aucune aide du FMI à l’Italie, en argent ou de n’importe quelle autre façon, tant que Berlusconi serait premier ministre. C’était intéressant. J’ai dit non.

Mais j’ai pensé que Sarkozy et Merkel faisaient en gros ce qu’il fallait mais que ça n’allait pas marcher. L’Allemagne, le public allemand, n’allaient pas soutenir un pare-feu financier plus important, plus d’argent pour l’Europe avec Berlusconi aux manettes du pays.

Finalement, M. Geithner dit que la phrase de Mario Draghi en juillet 2012 “nous ferons tout ce qui est nécessaire” était de l’improvisation, faite sans l’aval du conseil des gouverneurs de la BCE. C’est peut-être vrai, mais trompeur puisque le ministère des finances allemand était effectivement au courant du plan de sauvetage par les OMT pour l’Italie et l’Espagne. (J’ai pris part à un dîner avec le directeur général du ministère à peu près trois semaines avant et il avait signalé que quelque chose était en train de se préparer. Il a même utilisé l’expression “rien ne se passe dans la zone euro en ce moment sans notre permission”, alors ça me fait sourire lorsqu’on me dit que l’Allemagne ne dirige pas la zone monétaire européenne.

Mais nous y voilà :

Geithner : Les choses se sont détériorées dramatiquement pendant l’été, qui amena Draghi à prononcer ces choses en août que je ne pourrai jamais écrire, mais pour faire simple : il était à Londres à une réunion avec quelques fonds de pensions et des banquiers. Il était inquiet du style direct de l’Europe, parce qu’à ce moment-là toute la communauté de fonds de pensions pensait que l’Europe était finie. Je me souviens qu’il m’a raconté ça après, il était aux abois et a décidé d’ajouter à ses remarques, et fait tout un tas de déclarations à l’improviste du style “nous ferons tout ce qui est nécessaire”. Ridicule.

Journaliste : C’était juste impromptu ?

Geithner : Totalement impromptu… Je suis allé voir Draghi, et à ce stade, Draghi n’avait pas de plan. Ca leur est tombé dessus.

Quel foutoir.

Source : The Telegraph, le 12/11/2014

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