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8 juillet 2015

Grèce : pourquoi Angela Merkel refuse de parler de la dette grecque, par Romaric Godin

Angela Merkel refuse de parler de la dette grecque. Pourquoi ?

Angela Merkel refuse de parler de la dette grecque. Pourquoi ?

Malgré le référendum, Alexis Tsipras doit renoncer à parler de la dette ou risquer le Grexit. La chancelière refuse d’ouvrir le dossier, prise dans le piège de ses propres mensonges.

Les réactions allemandes au « non » grec massif lors du référendum du 5 juillet ont des airs de fins de non-recevoir. L’incapacité franco-italienne à représenter un contre-pouvoir effectif à la puissance allemande, le poids de l’opinion outre-Rhin, incarné par la une de la Bild Zeitung de ce mardi 7 juillet (une Angela Merkel coiffée d’un casque à pointe accompagné du titre « nous avons besoin d’une chancelière de fer »), la prédominance de la logique financière (représentée par une réunion de l’Eurogroupeprécédant celle du Conseil) laisse à Alexis Tsipras le choix suivant : ou accepter un accord sans restructuration de la dette, c’est-à-dire trahir son mandat fraîchement renouvelé, ou se préparer au Grexit.

Le nœud de la dette et l’engagement de la chancelière

Car l’essentiel du problème qui déchire la zone euro réside bien dans cette question de la dette. Une question sur laquelle la chancelière allemande refuse d’avancer. Pourquoi ? Parce que c’est le cœur du discours d’Angela Merkel aux Allemands depuis 2010 : l’aide à la Grèce ne coûtera rien aux contribuables allemands. Lors d’une réunion électorale en mars 2010 en Rhénanie du Nord, elle avait proclamé : « pas un euro pour les Grecs ! » Et lorsque, pour « sauver l’euro » en mai, elle avait dû faire passer la pilule d’un prêt à Athènes, elle avait affirmé que ce prêt serait remboursé. Puis que les garanties du FESF (Le Fonds européen de stabilité financière qui a prêté à la Grèce à partir de 2011) ne seraient pas exercées. Et lorsque l’on s’est rendu compte que la situation devenait intenable, le discours sur le « manque de réformes de la Grèce » a pris le relais.

Les « promesses impossibles » d’Angela Merkel

Or, la chancelière a tenu à son peuple des promesses impossibles. Elle a trompé les Allemands en prétendant que les Grecs pourront rembourser leurs dettes. Le niveau d’endettement de la Grèce (177 % du PIB) est intenable, le rythme des remboursements place le pays dans une obligation de dégager des excédents primaires qui asphyxient une économie déjà dévastée. La rationalité, sur cette question n’est pas du côté allemand. Du reste, le refus de discuter de la question de la dette n’est pas argumenté par les créanciers. On se contente de prétendre qu’il n’y a pas d’urgence ou que ce n’est pas le problème. Mais dans ce cas, pourquoi alors refuser d’en parler ? Tout simplement parce que accepter de restructurer une dette détenue par les contribuables de la zone euro mettrait à jour ce mensonge originel des dirigeants européens à ces mêmes contribuables : celui que la cavalerie financière mise en place en 2010 est intenable. La chancelière allemande a fait prendre des risques inconsidérés à ses compatriotes et, aujourd’hui, sa seule ambition n’est que de le dissimuler derrière une diabolisation de la Grèce et un discours moral.

L’erreur des Européens

Cette volonté de se dédouaner de ses propres fautes est renforcé par le fait que la recette appliquée à la Grèce, celle d’une austérité aveugle, n’a fait encore qu’aggraver le problème. Si les deux restructuration de la dette privée, de 2011 et 2012, n’ont pas permis de réduire le taux d’endettement du pays, c’est parce que la troïka a imposé (souvenons-nous que cette troïka envoyait des ordres par mail aux ministres) une politique hautement récessive à la Grèce. Le PIB s’est effondré, le taux d’endettement a mécaniquement gonflé. Et l’on se retrouve dans l’impasse. Une impasse qui, là encore, va coûter cher aux contribuables de la zone euro. Mais comme ni la chancelière, ni ses collègues ne veulent accepter leur responsabilité, ils se cachent derrière une pseudo-mauvaise volonté grecque. Sauf que, là encore, l’argument ne tient pas. La Grèce a réalisé un ajustement budgétaire quasiment unique dans l’histoire, ses « efforts » mesurés par la baisse du PIB ne sont égalés par aucun autre pays, ni l’Irlande, ni l’Espagne, ni la Lettonie. Mais cette médication n’a pas fonctionné parce qu’elle n’était pas adaptée aux structures économiques de la Grèce. Le remède a donc été pire que le mal et a conduit à l’insoutenabilité de la dette.

Angela Merkel en difficulté

Face à une telle situation, Angela Merkel avait la possibilité de se montrer courageuse et d’expliquer ses erreurs aux contribuables allemands. Mais l’opération est bien trop risquée politiquement pour elle. Depuis 2010, la droite de la CDU et la CSU bavaroise, suivis à partir de 2013, les Eurosceptiques d’AfD, ne cessent de la mettre en garde contre les risques liés à cette politique grecque pour les contribuables. Accepter une restructuration de la dette aujourd’hui, ce serait pour la chancelière donner raison à ses adversaires de droite. Dans un contexte où, depuis janvier, la presse allemande, dans la foulée de Wolfgang Schäuble, a chauffé à blanc l’opinion contre les Grecs et où l’affaire des écoutes de la NSA avec la complicité des services secrets allemands a déjà coûté cher  à la chancelière en termes de popularité, cette dernière ne peut reconnaître ses erreurs sans risquer un effondrement politique. Qui laisserait une place libre sur sa droite.

Prise à son propre piège

En réalité, donc, Angela Merkel s’est prise à son propre piège. Non sans ironie, c’est précisément celui que la plupart des médias occidentaux reprochent à Alexis Tsipras : celui des promesses intenables et de la démagogie. Il est piquant de constater que lorsque le premier ministre grec entend défendre les retraites, il est unanimement taxé de démagogie, mais lorsqu’Angela Merkel protège à tout prix les contribuables allemands, elle est qualifiée de « raisonnable. » C’est qu’en réalité, nul en Europe n’a intérêt à voir la chancelière en difficulté politique. Surtout pas la France dont les élites redoutent par-dessus tout une sortie de l’Allemagne de la zone euro. Or, beaucoup craignent que sans le « bouclier » Angela Merkel, la première économie de la zone euro soit tenté de quitter l’UEM. Dès lors, il n’y a pas d’autres solutions que de tenir un discours d’une grande dureté à l’encontre de la Grèce. Quant aux Sociaux-démocrates, ils sont durs avec la Grèce pour cette même raison : aujourd’hui, ils ne peuvent gouverner qu’avec Angela Merkel…

La complicité européenne

Les créanciers européens font un calcul simple : affaiblir Angela Merkel, c’est prendre le risque d’une sortie de l’euro de l’Allemagne. Pour éviter cela, il faut absolument couvrir les mensonges proférés aux électeurs et aux contribuables de la zone euro depuis 2010. Comment ? En accablant la Grèce, en affirmant qu’elle est seule responsable de ses maux, qu’elle est irréformable et que son gouvernement est aux mains d’extrémistes démagogues. Peu importe que le gouvernement grec ait à plusieurs reprises renoncé à de grandes parties de son programme et qu’il ait accepté le 22 juin un plan d’austérité de 8 milliards d’euros. Ce qu’il faut, c’est absolument interdire le discours sur la dette qui pourrait mettre à jour les mensonges décrits ci-devant. Et donc fustige l’irrationalité grecque qui cache l’irrationalité des créanciers. Pour résumer la logique dominante dans la zone euro est la suivante : il vaut mieux que la Grèce sorte de la zone euro plutôt que l’Allemagne. On comprend mieux alors la passivité franco-italienne. Et pourquoi la Commission européenne n’a pas fait, comme le FMI, son mea culpa sur l’austérité.

Le plan en cas de Grexit : une communication bien rodée

C’est la logique du plan présenté ce matin par la Bild Zeitung. Angela Merkel laisserait la Grèce sortir de la zone euro. Athènes procéderait alors logiquement à un défaut unilatéral. On aura donc ce défaut nécessaire, mais l’Allemagne ne l’aura pas voulu, ni provoqué. On poussera des cris d’orfraies pour la forme à Berlin, fustigeant ces « bolchéviques » qui volent les contribuables allemands. Ces derniers pourront alors payer la facture en étant persuadé que la chancelière a défendu jusqu’au bout leurs intérêt et que l’affaire est maintenant réglé par le Grexit. Angela Merkel sera la grande gagnante politique de l’opération. Les Eurosceptiques pourront critiquer les plans de 2010, mais la chancelière aura beau jeu de leur répondre que sans la « gauche radicale » grecque, son plan aurait fonctionné. Fermez le ban.

L’opération de communication est donc parfaite. La diabolisation du gouvernement grec n’a aucune autre fonction que celle de sauver la position d’Angela Merkel. Reste une question : est-ce la fonction du projet européen d’assurer le projet politique d’un dirigeant, fût-elle la plus puissante d’Europe ?

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 7 juillet 2015.

Pourquoi le gouvernement grec est arrivé les mains vides à l’Eurogroupe, par Romaric Godin

Euclide Tsakalotos, ministre grec des Finances

Euclide Tsakalotos, ministre grec des Finances

Le nouveau ministre des Finances grec n’a rien proposé de neuf à l’Eurogroupe de ce mardi dont la réunion a tourné court. Une stratégie qui vise à placer au centre la question de la dette.

Le gouvernement grec tente d’imposer ses propres priorités. Ce mardi 7 juillet, les créanciers avaient une fois de plus fixé leur calendrier en prévoyant un Eurogroupe avant le conseil européen. Autrement dit, la logique financière devait continuer à primer sur la logique politique. L’idée était donc la même qu’au cours des dernières semaines : engluer la Grèce dans des discussions financières techniques qui devront être validées au niveau des chefs d’Etat ensuite. Avec cette méthode, aucun accord satisfaisant pour Athènes n’était possible puisqu’Alexis Tsipras n’entend signer un texte technique qu’après un engagement sur la dette. Or, cet engagement ne peut se prendre qu’au niveau politique. Voilà pourquoi Athènes a annoncé déposer une demande d’aide complète au MES (mécanisme européen de stabilité) demain, incluant sans doute une restructuration de la dette.

Pas de propositions

Le gouvernement grec a donc contourné la difficulté. Le nouveau ministre des Finances, Euclide Tsakalotos, est arrivé à l’Eurogroupe sans nouvelle proposition concrète, se contentant d’évoquer la proposition présentée le 1er juillet dernier (laquelle, rappelons-le, n’était pas si éloignée de la proposition du 25 juin rejetée par les électeurs grecs). L’Eurogroupe a donc été dans l’incapacité de s’exprimer. Du coup, les chefs d’Etats et de gouvernements ne pourront pas discuter sur des éléments techniques. Et c’est exactement là où Alexis Tsipras voulait en venir : entamer un dialogue au niveau politique, incluant la question de la dette. Le premier ministre grec va ainsi rencontrer Angela Merkel et François Hollande avant le Conseil.

Comment discuter avant de poser la question de la dette ?

Car, en réalité, les discussions techniques sans ce préalable sont absurdes : établir des objectifs d’excédents et des mesures à prendre sans discuter de la dette revient à enterrer la question puisque, précisément, ces objectifs sont basées sur la nécessité de rembourser intégralement la dette. Il faut donc d’abord discuter de ce point crucial, notamment de la question de la dette détenue par la BCE (Banque centrale européenne) qui doit être remboursée en juillet et août de cette année (6,7 milliards d’euros), mais aussi en 2016 (2,3 milliards d’euros) et en 2017 (6,3 milliards d’euros). Athènes propose une reprise de cette dette par le MES, une décision qui relève du niveau politique.

Attentes absurdes des chefs d’Etats et de gouvernements

Evidemment, cette manœuvre peut échouer. Les chefs d’Etat peuvent se montrer irrités et rejeter tout dialogue ce mardi soir. Mais ce comportement semblerait étrange. Comment imaginer qu’un gouvernement qui vient d’être conforté par le « non » massif au référendum arrive sans vouloir parler de la dette et en présentant un plan encore plus strict que le précédent ? Là aussi, une telle attente semble loin de la réalité. Alexis Tsipras va donc, comme il l’a promis dès dimanche soir, mettre la question de la dette sur la table. Il y a fort à parier qu’il ne soit pas entendu. Mais son mandat renouvelé le 5 juillet l’obligeait à agir ainsi.

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 7 juillet 2015.

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Hypocrisies européennes

La nouvelle réunion de l’Eurogroupe que s’est tenue aujourd’hui, mardi 7 juillet, a été marquée par un sommet d’hypocrisies publiques. Ces hypocrisies ont marqué la réunion le lundi 6 juillet en fin de journée de Mme Merkel et de François Hollande à l’Elysée. La France et l’Allemagne ont appelé, par la bouche de François Hollande, la Grèce à soumettre une liste de « propositions sérieuses, crédibles, pour que (sa) volonté de rester dans la zone euro puisse se traduire »[1]. La Chancelière allemande a, en ce qui la concerne, dit attendre « maintenant des propositions tout à fait précises du Premier ministre grec »[2]. Mais, une hypocrisie peut en cacher une autre. Les discours des acteurs camouflent – plutôt mal aujourd’hui – le fait que sans une solidarité importante entre les pays membres, une Union monétaire comme l’Euro est condamnée à périr.

L’hypocrisie des demandes de réformes

Il est stupéfiant, et consternant de mauvaise foi, de voir des acteurs aux responsabilités si éminentes que Mme Merkel et François Hollande, continuer à demander des « réformes » à Alexis Tsipras. Ce dernier, dès son élection le 25 janvier dernier, a dit toute la nécessité de mener de profondes réformes en Grèce. De fait son gouvernement, unissant la gauche de Syriza et la droite souverainiste de l’ANEL (les « Grecs Indépendants »), est certainement le gouvernement le mieux placé pour conduire un important programme de réforme et de modernisation en Grèce. Ce gouvernement n’est pas lié par les relations clientélistes, les pratiques de collusion et de corruption qui étaient si développées au point d’en devenir emblématiques que ce soit avec le gouvernement de Papandréou (les « socialistes » du PASOK) ou avec le gouvernement de droite de Samaras (la « Nouvelle Démocratie »). De fait, le gouvernement issu des élections du 25 janvier a proposé un renforcement du système fiscal, transférant une partie de la charge sur les plus riches et supprimant de nombreuses niches et exemptions fiscales, et il a aussi proposé des réformes importantes touchant tous les sujets sensibles, y compris le régime des retraites. Mais Alexis Tsipras a aussi dit que pour que la Grèce puisse continuer à faire ses efforts, efforts qui – rappelons-le – lui ont permis de dégager un solde budgétaire primaire(autrement dit avant remboursement de la dette), soit un excédent budgétaire, elle devait retrouver confiance en son avenir. Cela passe par la croissance. Or, et ceci est attesté de nombreux côtés, que ce soit par des économistes plutôt classés à gauche (comme Krugman[3], Stiglitz[4] ou Piketty) ou par des institutions internationales classées à droite comme le FMI[5], la dette de la Grèce n’est pas supportable. Elle enfonce chaque jour un peu plus le pays dans l’abîme de la dépression. Les réformes que le gouvernement grec est disposé à faire sont liées, et il ne peut en être autrement, à une restructuration profonde de la dette de la Grèce, sans doute sur le modèle de ce qui avait été consenti à l’Allemagne en 1953.

Dès lors, demander des réformes « sérieuses et crédibles » comme l’ont fait et la Chancelière allemande et le Président français n’a aucun sens. Ces propositions ont été faites il y a des semaines. Certaines, en particulier les mesures fiscales frappant les plus riches, ont même été trouvées « excessives » par l’Eurogroupe. En réalité, en refusant de voir le point de blocage réel, la question de la restructuration de la dette de la Grèce, Mme Merkel et M. Hollande adressent une fin de non-recevoir au gouvernement grec. Mais, et c’est là le plus répugnant dans cette crise, une fin de non-recevoir enrobée de paroles doucereuses, dégoulinantes de « bienveillance », de déclarations d’amitié, de proclamation de la volonté de garder la Grèce dans la zone Euro. C’est de l’hypocrisie à l’état pur.

L’hypocrisie de la Banque Centrale Européenne (BCE)

La BCE s’est jointe à ce concours d’hypocrisie et de mauvaise foi. Rappelons ici les faits : elle maintient certes le programme d’aide à la liquidité d’urgence (dit « ELA ») pour les banques grecs MAIS elle en limite le plafond, ce qui organise DE FAIT une pénurie croissante de liquidités en Grèce. Si la BCE s’était tenue à ses règles et à se charte, elle aurait dû suspendre l’ELA dès le samedi 27 juin. Mais, les règles ont été tant et tant tordues depuis 2012, que ce soit à propose de l’OMT (Outright Monetary Transactions) ou des TLTRO, qu’elles n’ont plus grand sens. Ou, plus précisément, on ne les invoque que quand on doit prendre une décision politique un peu gênante. Hypocrisie donc, encore et toujours.

Donc, si la BCE avait suspendu l’ELA le 27 juin, on aurait pu crier à l’ingérence dans un problème politique grec, le référendum. Mais, en maintenant l’ELA tout en en conservant le plafond au niveau fixé le 26 juin, la BCE a contraint les banques grecques à la fermeture et a limité l’accès des Grecs, tant ménages qu’entreprises, à la liquidité. Elle a, de plus, mis des limites strictes au mécanisme automatique de transfert au sein de la zone Euro (ce que l’on appelle le compte Target2). Le résultat a été une ingérence massive dans la vie politique grecque. Cette ingérence n’a pas donné le résultat escompté, et les Grecs ont rejeté le projet d’accord qui leur était soumis par une majorité de 61% de « Non ». Alors, la BCE a décidé le 6 juillet de commencer à appliquer une décote sur les collatéraux à ses prêts que lui ont fournis les banques commerciales grecques. De fait, la BCE est en train d’expulser la Grèce hors de la zone Euro[6]. Ici encore, on va se réfugier derrière les « règles » de la BCE et sa charte. Mais on peut remarquer que l’on n’avait pas eu ses scrupules sur bien d’autres sujets. L’application des règles apparaît comme bien élastique, et soumise – en réalité – au bon vouloir politique d’un organisme qui n’est soumis lui-même à aucun contrôle politique. Nouvelle démonstration de l’immense hypocrisie de M. Draghi et de ses confrères.

Une monnaie unique sans solidarité ?

Mais la situation de la Grèce soulève un autre problème. Peut-on continuer à faire fonctionner la « zone Euro », ou pour l’appeler de son nom l’Union Economique et Monétaire, sans organiser en son sein d’importants flux de transferts ? Quand la Californie se trouva, lors de la crise financière de 2007-2009, en défaut de paiement, elle ne sortit pas de la zone Dollar parce qu’elle bénéficia d’importants flux de transferts en provenance du budget fédéral des Etats-Unis. Or, aujourd’hui, non seulement les flux de transferts sont très limités en Europe (où le budget de l’UE est plafonné à 1,23% du PIB) mais ils se heurtent à l’opposition de plus en plus forte de nombreux pays, et en premier lieu l’Allemagne.

Il ne s’agit pas, ici, de faire un quelconque reproche à ce sujet à l’Allemagne. Etablir un fédéralisme budgétaire au sein de la zone Euro prélèverait de 8% à 12% du PIB de l’Allemagne tous les ans, selon les méthodes de calcul. L’économie allemande n’y résisterait pas. La question n’est donc pas de savoir si l’Allemagne veut une politique de transferts, une fois qu’il est constaté qu’elle ne peut pas en payer le prix. Mais, il faut alors en tirer les conséquences quant à la zone Euro. Et l’on voit bien que la zone Euro ne peut survivre sans un mécanisme assurant des transferts importants en son sein. Cela, les différentes autorités de notre pays comme de nos voisins, le savent pertinemment.

Dès lors, s’obstiner de réunion de l’Eurogroupe en Conseils européens à tenter de faire vivre une zone monétaire sans accepter d’en payer le prix est une folie dangereuse. Prétendre que la stabilité de cette dite zone serait mise en cause par un pays, aujourd’hui la Grèce et qui sait demain, peut être l’Espagne, le Portugal ou l’Italie, relève à nouveau de la plus immense hypocrisie.

L’enfoncement des gouvernements européens dans une hypocrisie aux formes multiples mais dont le résultat est chaque jour plus évident renvoie aussi fondamentalement à un manque de courage. Manque de courage de Mme Merkel qui n’ose pas dire à son peuple qu’il lui faudra payer pour avoir l’Euro, ou que l’Euro ne sera plus[7]. Manque de courage de François Hollande, qui n’a pas voulu affronter de face Angela Merkel et lui dire que, faute de consentir à l’Union de transferts (et on en comprend parfaitement les raisons) la zone Euro ne pouvait être maintenue. Manque de courage de M Rajoy, qui a longtemps lié le sort de l’Espagne à celui de l’Allemagne et qui n’a pris que tardivement conscience qu’une expulsion de la Grèce hors de la zone Euro le mettrait, lui, désormais en première ligne. Manque de courage de M. Renzi, le fringant Premier ministre italien qui a commis les mêmes fautes que son homologue espagnol alors que la logique et la raison lui commandaient de soutenir la Grèce.

Manque de courage de tous, qui feront sans doute de la Grèce un bouc émissaire, une victime expiatoire, pour une situation qui est de la responsabilité de tous en réalité et pour se refuser à voir la réalité tant qu’il en est encore temps. Et si cela n’est pas une immense et incommensurable hypocrisie, alors les mots n’ont plus de sens.

[1] http://www.capital.fr/a-la-une/actualites/hollande-et-merkel-affichent-une-position-commune-sur-la-grece-1052927#UpICzy8xld0pGTT3.99

 

[2] http://www.rfi.fr/europe/20150706-francois-hollande-angela-merkel-affichent-leur-unite-grece/

 

[3] Krugman P., « Europe’s Many Economic Disasters », New York Times, 3 juillet 2015,http://www.nytimes.com/2015/07/03/opinion/paul-krugman-europes-many-disasters.html

 

[4] Stiglitz J, « Europe’s attack on Greek democracy », le 29 juin 2015, http://www.project-syndicate.org/commentary/greece-referendum-troika-eurozone-by-joseph-e–stiglitz-2015-06

 

[5] The Guardian, « IMF says Greece needs extra €60bn in funds and debt relief », 2 juillet 2015, http://www.theguardian.com/business/2015/jul/02/imf-greece-needs-extra-50bn-euros?CMP=share_btn_tw

 

[6] Sandbu M., « Free Lunch: ECB, enemy of the euro? », Financial Times, 6 juillet 2015,http://www.ft.com/intl/cms/s/3/bbf26c42-23bb-11e5-bd83-71cb60e8f08c.html

 

[7] Voir Godin R., Grèce : Pourquoi Angela Merkel refuse de parler de la dette grecque, La Tribune, 7 juillet 2015, http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-pourquoi-angela-merkel-refuse-de-parler-de-la-dette-grecque-490094.html

 

Source : Jacques Sapir, pour son blog RussEurope, le 7 juillet 2015.

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