… Quand vous voyez que des gens deviennent plus riches par le soudoiement et l’extorsion que par le travail, et que vos lois ne vous protègent pas contre eux, mais les protègent contre vous, quand vous voyez que la corruption est récompensée et que l’honnêteté est devenue abnégation, vous savez que votre société est condamnée.
– Ayn Rand, « Atlas Shrugged »

De nos jours, il n’y a plus de marchés libres – il y a juste des interventions.
– Chris Powell, cofondateur et trésorier du GATA

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Ayn Rand est un paria parmi ceux qui s’imaginent que le gouvernement est leur bienfaiteur. Il y a des moments et des situations où le gouvernement peut être un bienfaiteur pour le peuple. Mais pas dans le monde occidental de nos jours. Comme Michael Hudson et moi le convenons, les banques centrales occidentales refusent de créer de l’argent pour financer la reprise économique. L’argent est créé uniquement au bénéfice des banques des oligarques, afin que ceux-ci puissent pérenniser leur mainmise sur les gouvernements.

Aux États-Unis, dans les sept dernières années, la Réserve fédérale a fourni des réserves bancaires bon marché pour que les banques prêtent à taux majoré ou pour spéculer avec. Les banques ne fournissent plus de capitaux pour les investissements productifs et l’emploi. Au lieu de cela, elles investissent dans la spéculation, les opérations d’arbitrage, les dérivés, le financement de la prise de contrôle (OPA) d’entreprises et les rachats sur le marché. La Fed a exonéré les banques de rémunérer les dépôts avec des intérêts. À la place, les banques obtiennent gratuitement de l’argent et chargent d’intérêts à taux négatif les dépôts de consommateurs. Depuis sept ans, grâce à la Réserve fédérale et au gouvernement américain totalement corrompu, les Américains n’ont pas eu d’intérêt sur leur épargne. Dans le monde occidental d’aujourd’hui, les épargnants sont pénalisés, pas rémunérés.

En Grèce et en Europe, les banques sont le moyen de contrôle de l’oligarchie, exactement comme le sont la Réserve fédérale aux Etats-Unis, la Banque d’Angleterre au Royaume-Uni et la Banque centrale européenne de l’UE. Même chose au Canada, en Australie et au Japon. En contrôlant l’argent, l’oligarchie contrôle le pays, faisant de la « démocratie occidentale » un faux-semblant. Il n’y a pas de démocratie à l’Ouest ; juste des symboles démocratiques truqués, dans une manipulation ayant permis aux Un Pour Cent de s’approprier la part du lion des revenus et des richesses, en privant l’économie de consommation du pouvoir d’achat nécessaire pour maintenir le plein emploi.

Avec Michael Hudson, j’entends que l’Europe du sud, non seulement la Grèce, mais aussi l’Italie, l’Espagne et le Portugal, sont démolis, parce que le pillage des débiteurs est la seule façon dont les banques peuvent faire de l’argent quand la délocalisation de l’emploi a anéanti les possibilités d’investissements productifs qui relanceraient l’emploi et le PIB aux États-Unis et en Europe. La Banque centrale européenne, écrit Hudson avec justesse, « refuse de créer de l’argent pour financer la reprise économique, mais seulement pour payer les banques des oligarques afin qu’ils puissent continuer à contrôler les gouvernements. »

Ci-dessous l’article de Hudson sur la situation de l’endettement grec. Il explique la stratégie de Syriza, qui en cas de succès se traduira par le départ de la Grèce de l’UE et, donc, de l’OTAN, et entamera le démantèlement des instruments essentiels de Washington pour créer un conflit avec la Russie.

Comme je l’ai dit dans mes entretiens avec Investment Research Dynamics and with King World News, il se peut que les dirigeants du gouvernement grec actuel soient assassinés, afin que Washington empêche l’effritement de l’UE et de l’OTAN. À mon avis, le départ de la Grèce serait suivi par ceux de l’Espagne et de l’Italie. Voir :
investmentresearchdynamics.com/sot-40-paul-craig-roberts-greece-tpp-omens-the-west-is-collapsing/
Ce serait le début de la désagrégation de l’empire de Washington. Il est peu probable que Washington tolère cela.

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Nouveau mode de guerre, par Michael Hudson, 29 juin 2015

En janvier, au moment de son investiture, le parti Syriza n’aurait probablement pas pu remporter un référendum sur la question de payer ou de ne pas payer. N’ayant pas la majorité parlementaire, il a dû compter sur un parti nationaliste pour que Tsipras devienne Premier ministre. (Ce parti refusait la réduction des dépenses militaires grecques, 3% du PIB, que la troïka avait gentiment conseillé de réduire pour équilibrer le budget du gouvernement.)

Voyant à quel point l’opposition était inflexible, la position de Syriza était : « Nous tenons à payer. Mais il n’y a pas d’argent. »

De ce fait, la balle a été renvoyée dans le camp de la troïka. Les institutions étaient si inflexibles que la cote de popularité de Syriza a monté de 13% dans les sondages en juin. Les électeurs grecs sont devenus de plus en plus irrités par les exigences de la troïka, toujours plus de privatisations et de coupes dans les retraites.

Dans ce que Varoufakis appelait « prolonger et feindre », Tsipras et Varoufakis étaient prêts à rembourser le FMI avec les propres fonds du FMI. Mais leur seul intérêt à maintenir la dette pendante était d’obtenir un financement supplémentaire pouvant servir à payer les pensions et autres dépenses budgétaires gouvernementales de base.

La tactique de base, dans ce genre de tensions entre créanciers et débiteurs, est claire : arrêter le remboursement de la dette dès qu’il dépasse les nouveaux prêts. Aussi, quand les institutions ont précisé qu’il n’y aurait pas d’autre crédit si Syriza n’adoptait pas le vieil accommodement Pasok/New Democracy exigé par la troïka, Tsipras et Varoufakis ont décidé qu’il était temps d’organiser un référendum dans les huit jours, pour le dimanche 5 juillet.

Vendredi, tard dans la nuit, et samedi, aux premières heures de l’aurore, les Grecs ont assailli les distributeurs de billets de banque pour récupérer leurs dépôts et épargnes, s’attendant à ce que la fin du match entraîne une dépréciation probable de 30% de la drachme – et, de fait, que la BCE arrête ses prêts pour soutenir les banques grecques (seul rôle que la BCE voulait jouer).

Syriza n’avait guère d’affection pour les banques. Après tout, c’était le moyen avec lequel les oligarques contrôlent l’économie grecque. Un mois durant, ils avaient discuté de la façon de séparer les banques en « banques saines » et « banques pourries », soit en les nationalisant (en éliminant les actionnaires), soit en créant une alternative publique.

Plus important encore, dès sa sortie de l’euro favela, la Grèce pourrait créer son propre Trésor et ainsi monétiser ses dépenses. Les institutions souhaitaient ce « scénario », mais les Grecs ne pouvaient le réaliser pour leur monnaie nationale. Ils échapperaient à l’euro-austérité – sauf, bien sûr, dans le cas où la BCE lancerait une guerre économique contre la Grèce en imposant ses propres contrôles de capitaux.

En subissant les négociations truquées avec les institutions, Syriza a laissé assez de temps aux Grecs pour qu’ils puissent protéger leur épargne et argent en convertissant leurs dépôts bancaires en billets d’euros, automobiles et biens concrets (même des bateaux).

Les entreprises ont emprunté auprès des banques locales, là où elles le pouvaient, et ont transféré leur argent dans des banques de l’euro favela ou, mieux encore, en dollars et avoirs en livres sterling. Leur intention est de rembourser les banques en drachmes dépréciées, pour empocher un gain de capital de 30%.

Ce qui a échappé aux commentateurs, c’est que le parti Syriza (au moins sa gauche) veut faire des changements. Il veut libérer la Grèce de l’oligarchie post-militaire qui échappe à l’impôt et monopolise l’économie. Et il veut transformer l’Europe, quitter l’austérité de la BCE pour créer une véritable banque centrale. Dans ce processus, il a besoin d’une ardoise nettoyée des mauvaises dettes antérieures. Il veut rejeter la philosophie d’austérité du FMI et refuse d’assumer la responsabilité de son piètre renflouement de 2010-12.

Ce grand projet de transformation est au centre des plans du Syriza de gauche.

Aujourd’hui en Allemagne (en route vers Bruxelles), j’ai entendu des Allemands dire que les Grecs sont paresseux et ne paient pas d’impôts. Ils ne se rendent guère compte que ce qu’ils appellent « les Grecs » sont en réalité des oligarques. Ils ont pris le contrôle de l’ancienne coalition de partis Pasok/New Democracy, ont évité de payer des impôts, évité d’être poursuivis (New Democracy a refusé de donner suite à la « Liste de Lagarde » sur les contribuables fraudeurs qui ont près de 50 milliards d’euros dans des comptes bancaires suisses), ont orchestré des délits d’initiés pour privatiser l’infrastructure à des prix bradés, et se sont servis de leurs banques comme moyen pour la fuite de capitaux et le prêt d’initié.

Cela a transformé les banques en armes de l’oligarchie. N’étant plus des institutions publiques au service de l’économie, elles ont privé de crédits les entreprises grecques.

Ainsi, à part la crédibilité de l’euro favela, les seules victimes seront les banques BCE et FMI. Syriza se positionne pour fournir une option publique : des banques publiques qui favoriseront l’économie, et le Trésor national dépensera l’argent du gouvernement dans l’économie, au lieu de le jeter afin de rembourser la Troïka pour son renflouement de banques françaises et autres en 2010-1.

Dans leur description de ces questions, la presse populaire européenne est aussi corrompue que la presse américaine. Elles mettent en garde contre l’« hyperinflation » au cas où une banque centrale monétiserait autant que l’exigent les dépenses du gouvernement, comme le font la Fed, la banque d’Angleterre ou tout autre vraie banque centrale. La réalité est que presque toutes les hyperinflations découlent d’un effondrement du taux de change consécutif aux remboursements du service de la dette. Ce fut à l’origine de l’hyperinflation en Allemagne dans les années 1920, et non pas les dépenses domestiques allemandes. C’est ce à quoi sont dues les hyperinflations d’Argentine et d’ailleurs en Amérique latine dans les années 1980, et plus tôt au Chili.

Mais dès que la Grèce sera libérée des dettes odieuses, forcées sous la menace financière en 2010-12, sa balance des paiements sera à peu près en équilibre (soumise à une dépréciation de la drachme ; 30% est le chiffre que j’ai entendu revenir plusieurs fois à Athènes la semaine dernière). Pour imiter Margaret Thatcher, « Il n’y a pas d’alternative » si on se retire de l’euro favela. Les conditions dictées pour rester dedans étant de vendre à prix d’initié la totalité de ce qui restait du secteur public grec à des acheteurs européens et américains – surtout pas à des acheteurs russes, même le gazoduc qui devait être vendu.

Les stratèges financiers de l’euro favela pensaient évidemment que Tsipras et Varoufakis se coucheraient tout simplement, et seraient vite éjectés du pouvoir pour avoir ainsi abandonné leur agenda politique socialiste. Ils se sont fourrés le doigt dans l’œil – et espèrent à présent créer autant d’anarchie que possible pour punir le peuple grec. Le punir de ne pas continuer à soutenir son oligarchie cliente, qui a transféré le gros de ses actifs hors de portée du gouvernement.

Mais au lieu que ce soit Syriza qui perde sa crédibilité, c’est la BCE – qui refuse de créer de l’argent pour financer la reprise économique, mais seulement pour payer les banques des oligarques afin qu’ils puissent continuer de contrôler le gouvernement. Ce contrôle est maintenant affaibli, précisément parce que leurs banques sont fragilisées.

La semaine dernière, le Parlement grec a publié son rapport Debt Truth Commission, où il explique pourquoi les dettes de la Grèce envers le FMI et la BCE sont odieuses, et ont été engagées sans qu’un référendum populaire n’avalise ces prêts. À vrai dire, Mme Merkel et Sarkozy ont obéi à Obama et Geithner quand, lors d’une réunion du G8, ils ont insisté pour que la BCE ne tienne aucun compte de l’analyse des économistes du FMI montrant que la Grèce ne pouvait payer ses dettes et renflouer les banques. Geithner et Obama ont expliqué que des banques américaines ayant fait de gros paris financiers, la Grèce devait rembourser ses créanciers privés, ce qui fait que la BCE et le FMI devait prêter au gouvernement des fonds pour le faire – mais Papandreou, le Premier ministre du pays qui voulaient faire un référendum pour savoir si le peuple grec voulait vraiment se suicider économiquement et politiquement, a dû être renversé.

Des technocrates financiers ont été mis en place pour servir l’oligarchie nationale et les détenteurs d’obligations étrangères. La Grèce était sous attaque financière tout aussi dévastatrice qu’une attaque militaire. La Finance est la guerre. Telle est la leçon de cette semaine.

Et pour la première fois, les pays débiteurs réalisent qu’ils sont en état de guerre. Ainsi s’explique la raison pour laquelle les marchés sont en chute lundi, le 29 juin.

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Les stratèges financiers de l’euro favela ont dit clairement qu’ils voulaient faire un exemple avec Syriza, afin d’avertir Podemos, le parti espagnol, et les partis anti-euro d’Italie et de France. Le message étant présumé être, « Évitez notre austérité et nous provoquerons le chaos. Voyez la Grèce. »

Mais le reste de l’Europe interprète le message dans le sens exactement contraire : « Restez dans l’euro favela et nous allons créer de l’argent pour juste renforcer l’oligarchie financière, les 1%. Nous insisterons sur les excédents budgétaires (ou, au moins, sur pas de déficit) afin d’affamer l’économie d’argent et de crédit, la forcer à dépendre des banques d’affaires à intérêt. »

La Grèce est vraiment devenue un exemple. Mais c’est un exemple de l’horreur que les monétaristes de l’euro favela cherchent à imposer aux économies les unes après les autres, avec la dette comme levier pour forcer les liquidations de privatisation à prix sacrifiés.

En bref, la finance s’est dévoilée être le nouveau mode de guerre. Résister à l’effet levier de la dette et à la conquête financière est aussi légitime que résister à l’invasion militaire.


Le livre de Michael Hudson qui résume ses théories économiques, « The Bubble and Beyond », est maintenant disponible sur Amazon en nouvelle édition avec deux chapitres de plus. Son dernier livre est Finance Capitalism and Its Discontents. Il a collaboré à Hopeless: Barack Obama and the Politics of Illusion, publié par AK Press. Il peut être joint via son adresse Internet, mh@michael-hudson.com

Original : www.paulcraigroberts.org/2015/06/29/capitalism-devolved-looting/
Traduction Petrus Lombard

http://www.alterinfo.net/A-l-Ouest-le-capitalisme-a-degenere-en-pillage_a115334.html