Ce fut une erreur lourde de conséquences que d’exiger de la République de Weimar le remboursement de ses dettes, au moment où l’Allemagne était précipitée dans un premier temps dans l’hyperinflation puis dans la dépression, vers la fin des années 1920 et le début des années 1930. Les dirigeants allemands de l’époque plaidèrent leur cause désespérée auprès des Américains, qui leur consentirent certes un moratoire dans le règlement de leur dette. Trop tardivement car le chômage allemand massif, l’effondrement du système bancaire en 1931 et la fermeture des banques (comme en Grèce) aboutirent logiquement à Janvier 1933.

Ce fut également une erreur lourde de conséquences que d’exiger le paiement intégral de la dette russe en 1992, alors que Yeltsin devait tant bien que mal gérer les décombres d’une économie soviétique en ruine. Instabilité politique, fragilisation économique extrême, corruption et, en finalité, perte de confiance en cette démocratie russe naissante furent en effet les effets collatéraux prévisibles de l’intransigeance occidentale. La déroute de Weimar, l’instabilité politico-économique russe des années 1990 et même actuelle, tout comme la flambée nationaliste allemande des années 1930 et russe de ces vingt dernières années sont la résultante d’un principe absurde selon lequel la dette doit être intégralement remboursée.

Comment ébranler le diktat de cette orthodoxie étouffante qui ne parvient décidément pas à admettre que, combinée à des déficiences structurelles, la charge d’une dette substantielle pousse une nation et sa société dans l’abîme ? Car, avec un chômage de l’ordre de 30%, un chômage de ses jeunes dépassant 50%, un P.I.B. en décrue de 30% et l’effondrement de ses banques, la Grèce d’aujourd’hui a d’ores et déjà dépassé son point de rupture. Comment se fait-il, dès lors, que l’écrasante majorité de nos responsables politiques et économiques actuels soit inculte et dénuée de tout sens historique ? A l’image de cette Allemagne de Brüning du début des années 1930,  une Grèce que l’on contraindra à plus d’austérité et à plus de privations est inévitablement condamnée à l’effondrement. Plus aucun gouvernement démocratiquement élu ne durera dans cette Grèce acculée dans ses derniers retranchements, où – après l’élection de Syriza en janvier et le référendum en juin – la population a désormais le sentiment que son vote ne sert plus à rien.

Dans un tel contexte nauséabond, qui serait étonné demain d’un coup d’Etat militaire dans un pays et chez un peuple qui ne croit plus en rien ? Et à qui l’on continue d’asséner que notre générosité a désormais atteint ses limites… quand notre argent a surtout servi à nous sauver! Le premier plan de sauvetage de 100 milliards d’euros (en 2010) n’était-il pas destiné à rembourser les dettes dues aux banques allemandes et françaises ? Idem pour le second, troisième et actuel paquets mis en place afin de repayer les créanciers étrangers. Le contribuable allemand – que son gouvernement ne cesse de désinformer – est-il seulement conscient que l’écrasante majorité des sommes mises à la disposition de la Grèce ne bénéficièrent pas plus à la réforme de son économie qu’à la couverture de son urgence sociale et humanitaire?

Voilà pourquoi un cinquième et par la suite d’autres plans sont à programmer, à la mesure de l’agonie des PME et des banques grecques. La Grèce est-elle en état de mort cérébrale ? Qu’à cela ne tienne: l’Allemagne populiste et mercantile d’aujourd’hui maintient néanmoins la respiration artificielle à coup de plans de sauvetage inutiles. Une Grèce dans l’euro conduira fatalement à un affaiblissement supplémentaire de la monnaie unique qui profitera encore et toujours plus aux exportations allemandes.

Michel Santi, économiste

http://times24.info/la-mort-par-la-dette/