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Blog VOM : Géopolitique - Mondialisation - Société- Religions - Spiritualité - Actualité...
12 juin 2015

Articles (10)

 

Regards Des Bouddhistes Sur Jésus
André Bareau
Centre culturel luthérien, Paris 11 Décembre 1984
"Regardsdes bouddhistes sur Jésus" : voilà certes un sujet fort intéressant,mais qui présente quelques sérieuses difficultés. Tout d'abord, lebouddhisme est sans doute, de toutes les grandes religions du monde,celle qui est le plus éloignée du christianisme par sa doctrinefondamentale et par d'autres traits importants, bien qu'il en soit, ouen semble, en revanche très proche par d'autres. Ensuite, à cause del'extrême diversité des formes qu'il a prises au cours du temps et deson extension géographique, par suite de sa grande souplessed'adaptation aux civilisations et aux mentalités fort variées despeuples chez lesquels il s'est introduit, ses "regards sur Jésus"peuvent être très différents les uns des autres. Enfin, si nouspossédons un assez grand nombre d'informations sur la façon dont lesbouddhistes, surtout ceux d'aujourd'hui, considèrent le christianisme,bien plus rares au contraire sont les renseignements relatifs à leursopinions sur la personne de Jésus.
Avant d'examiner cesderniers documents pour savoir comment les adeptes du bouddhisme voienteffectivement le fondateur du christianisme, il m'a paru bon d'étudierla façon dont ils devraient le voir en théorie, en la déduisant de ladoctrine fondamentale enseignée par les anciens textes canoniques dubouddhisme, vieux de plus de vingt siècles.
Comme vous lesavez sans doute, le bouddhisme est une religion qui présente la fortétrange particularité, difficile à comprendre pour nos espritsoccidentaux, de nier, de réfuter même l'existence d'un Dieu unique,éternel, omnipotent, créateur de tout ce qui existe et souverain detous les êtres qui peuplent l'univers, et aussi de nier l'existence detout principe personnel éternel, analogue à ce que nous nommons l'âme.C'est du reste la négation de ce principe personnel qui les conduitlogiquement à nier celle de Dieu tel que nous le concevons.
Entendons-nous bien : le bouddhisme n'a jamais nié l'existence desdieux, bien au contraire il reconnaît celle de myriades de dieux, demillions de divinités de toutes sortes, grandes et petites, célestes etterrestres, les unes sublimement éthérées, purs esprits ou possédant uncorps fait de lumière et se nourrissant uniquement de joie, les autresdoués d'un corps de matière plus grossière mais invisible aux hommesordinaires, les uns et les autres incomparablement plus puissants queces derniers car disposant de multiples pouvoirs prodigieux. Chacun deces êtres divins, cependant, si élevé soit-il dans la hiérarchiedivine, si immensément puissant soit-il, est limité aussi bien dans ladurée de sa vie que dans ses pouvoirs. Chacun d'eux naît, apparaissantsoudain parmi les dieux, vit ensuite une très longue existence, quipeut durer des milliards d'années car les Indiens ont toujours comptétrès large quand ils ont pu donner libre cours à leur fertileimagination, cette vie sera parfaitement heureuse, exempte de toutedouleur, de toute peine, de tout souci, elle ne sera sujette ni à lamaladie ni à la mort comme celle des autres êtres, humains ou non, maiselle aura nécessairement une fin, comme tout ce qui existe et qui a eunaturellement un commencement, une naissance. Un jour, donc ce dieumourra, disparaîtra soudain, sans aucune souffrance ni angoisse, et ilrenaîtra comme n'importe quel être vivant après sa mort, soit commedieu, soit comme homme, soit comme animal, soit même comme damné, enconséquence automatique et inéluctable de la valeur morale de ses actespassés. N'étant pas éternel, ayant eu une naissance et étant voué à lamort comme tous les êtres vivants, ce dieu ne peut évidemment pas êtrele créateur de l'univers ni de ses habitants. Possédant des pouvoirslimités si immensément étendus et divers soit-ils, il ne peut donc êtrele souverain de tout ce qui existe, êtres et choses.
Niantl'existence de Dieu, au sens où nous l'entendons dans l'Occidentchrétien, les bouddhistes nient en conséquence la divinité de Jésus.Tel que l'histoire le connaît, Jésus ne fut donc qu'un homme à leursyeux. Cependant, étant donné les insignes vertus dont il a fait preuve,il y a tout lieu de penser qu'il est ensuite rené parmi les dieux parle simple jeu de la rétribution, de la "maturation" de ses bonnesactions. En somme, dans l'optique bouddhique, l'homme que fut Jésus esttrès probablement devenu, après sa mort, un dieu, c'est-à-dire un êtresurhumain d'une certaine catégorie bien définie en elle-même par sanature, par ses pouvoirs, par la durée de sa vie, pas ses activités,qui peuvent être pure contemplation de la vérité, ou méditationd'approche de celle-ci, ou simple jouissance de la félicité divine sousses divers aspects, sensuels ou spirituels, ou encore surveillance desactions humaines. Quand ce Jésus devenu ainsi un dieu mourra, dans unavenir plus ou moins lointain selon la place qu'il occupe à présentdans la hiérarchie divine, il renaîtra à nouveau, comme il l'a déjàfait d'innombrables fois dans le passé. Il est fort possible qu'ilrevienne alors parmi les dieux ou parmi les hommes en conséquence deses vertus et des bonnes actions qu'elles ont produites, qu'il échappedonc aux mauvaises destinées dans lesquelles tombent inexorablement lesméchants et les avides, les destinées des animaux, des revenantsperpétuellement affamés et des damnés. Autrement dit, dans sa prochaineexistence, Jésus pourra conserver sa nature divine, au sens où lebouddhisme conçoit celle-ci ou renaître homme, et dans ce casapparaître et agir comme le Messie, toutefois dans les limites que ladoctrine bouddhique peut accorder à un tel rôle. Ainsi donc, lebouddhisme ne refuse pas plus de reconnaître la divinité de Jésus dansun certain sens que son humanité, à ceci près que ces deux natures nepeuvent aucunement coexister mais doivent se succéder dans le temps.
Si,comme les bouddhistes peuvent aisément l'admettre, l'homme que futJésus il y a près de vingt siècles est devenu un dieu il a tout à faitdroit aux égards, à la dévotion et au culte dus par les hommes auxêtres divins quels qu'ils soient, ne serait-il qu'en raison desnombreuses et admirables bonnes actions accomplies par les dieux dansleurs vies antérieures, ce dont leur nature divine porte un éclatanttémoignage. En outre, comme le culte chrétien n'exige pas plus desacrifice sanglant, de meurtre d'animal, que le culte bouddhique, cequi serait contraire à l'un des commandements fondamentaux communs à lamorale de ces deux religions, les adeptes du Bouddha ne peuvent doncrien reprocher à ceux du Christ lorsque ces derniers manifestent leurdévotion à leur maître et seigneur. Mieux, même, rien n'empêche unbouddhiste de s'associer au culte de Jésus comme il participeeffectivement à celui de diverses divinités plus ou moins apparentées àcelles de l'hindouisme et dont les chapelles s'élèvent souvent dansl'enceinte des monastères bouddhistes eux-mêmes.
En effet, àl'inverse de ce qu'a fait le christianisme, né il est vrai dans descirconstances tout à fait différentes, non seulement le bouddhisme n'ajamais nié la divinité ou l'existence des innombrables dieux de l'Indeancienne et des autres pays où il s'est répandu, mais il ne les a pasrabaissés au rang de démons, horribles et foncièrement méchants,incarnations de tous les vices. Au contraire, il les a convertis, mêmeceux que leur nature originelle rendait redoutables aux hommes, il lesa enrôlés très vite dans les troupes de ses disciples. Mieux même, ilen a fait des modèles offerts à ses propres fidèles laïcs, faute depouvoir les proposer à ses moines parce que le bonheur sans faille dontjouissent les dieux les empêche de devenir ascètes, de se soumettre àla discipline stricte et austère qui peut seul mener rapidement à laDélivrance, au Nirvâna.
Très rares sont, dans le très richeet complexe panthéon reconnu par le bouddhisme, les êtres divins quiont conservé un caractère irascible ou même vraiment hostile auxhommes. Ce sont , ou bien des divinités terrestres du degré le plusbas, petits génies locaux encore mal dégrossis, ou bien Mâra, la mortpersonnifiée, l'adversaire principal et acharné du Bouddha parce quecelui-ci enseigne aux êtres la méthode qui leur permettra des'affranchir définitivement de la mort, plus exactement des mortssuccessives, consécutives aux renaissances. En réalité, Mâra est unefigure allégorique, du reste propre au bouddhisme, et que la légendemontre généralement plus ridicule que vraiment redoutable, même quandelle lance contre le Bienheureux sa terrifiante armée de démons néed'elle-même et que le Bouddha met en fuite d'une seule pensée.
Queles dieux soient donc, à de très rares exceptions près, des êtresbienveillants et dignes de vénération, cela s'explique très bien selonla doctrine bouddhique, car, si ces êtres sont devenus tels, s'ilsjouissent de l'extraordinaire bonheur divin, c'est parce qu'ils l'ontmérité par les innombrables et admirables bonnes actions qu'ils ontaccomplies durant leurs précédentes existences. Pour en revenir à notresujet, si l'homme que fut Jésus est devenu un dieu comme tout porte àle croire dans l'optique propre au bouddhisme, il mérite doncpleinement la vénération et le culte des hommes, non seulement deschrétiens, mais aussi des bouddhistes et des adeptes des autresreligions.
Que l'homme que fut Jésus, devenu un dieu, méritepar cela même tel respect, cela signifie-t-il pour les bouddhistes quel'enseignement qui fut le sien il y a deux mille ans et qui futtransmis à ses fidèles jusqu'à nos jours mérite la même considération ?Autrement dit, Jésus est-il aussi digne d'admiration pour les disciplesdu Bouddha, pour sa doctrine, le christianisme, que pour ses actesvertueux ? Certes oui dans la mesure où son enseignement fut en accordavec celui du Bienheureux, c'est-à-dire utile aux hommes, à leurprogression sur la Voie de la Délivrance ou du moins en les conduisantà renaître chez les dieux ou chez les hommes et non pas dans lesmauvaises destinées. Non, en revanche, parce que sa doctrine détourneses fidèles de la Voie menant au Nirvâna, ou plus exactement les faits'arrêter en chemin, se contentant de les faire renaître dans leparadis d'un certain dieu pour un temps limité, si immense soit-il, enleur donnant à croire qu'ils y resteront pendant l'éternité. En somme,l'enseignement de Jésus est destiné aux laïcs, à ceux qui visentseulement une vie future aussi agréable et longue que possible, tandisque celui du Bouddha s'adresse aux ascètes, à ceux qui, ayant comprisla nature essentiellement impermanente, limitée dans le temps commedans l'espace, de toutes choses, et notamment du bonheur divin, nesauraient se contenter de celui-ci et qui sont résolus à aller jusqu'auNirvâna à mettre un terme à toute renaissance, à toute existence,quelle qu'elle soit.
La morale enseignée par Jésus à sesdisciples est quasiment identique à celle que le Bouddha préconise auxsiens. Non seulement elles interdisent l'une et l'autre de commettredes crimes et des fautes graves ou minimes, meurtre, vol, adultère,luxure, mensonge, intempérance,etc. etc. ,mais elles incitent avecinsistance à cultiver et pratiquer les vertus de bonté, de compassion,de patience, de charité, de pardon des offenses, de bien d'autresencore. Elles voient à juste titre, dans l'exercice de cette moralecommune, le premier pas, absolument nécessaire mais insuffisant, sur lalongue route menant au but qu'elles indiquent à leurs adeptes, au saluttel que leurs fondateurs respectifs les définissent, le paradis pourles chrétiens, le Nirvâna pour les bouddhistes. En somme, en prêchantla même morale et en faisant de celle-ci la première de leursobligations, Jésus et Bouddha exhortent leurs disciples à suivred'abord un même chemin, un chemin assez long et difficile pour laplupart des hommes mais qu'il est indispensable de parcourir commepréparation à la suite, aux exercices spirituels ou assimilés quiconduiront enfin au but désigné.
Pour le reste,l'enseignement de Jésus diffère grandement de celui du Bouddha. Dupoint de vue de ce dernier, il est erroné, non conforme à la réalité,aux saintes Vérités auxquelles l'ascète Gautama s'est "éveillé", cartel est le sens propre du mot "bouddha". Par conséquent, si la doctrinechrétienne, par l'observation de sa morale élevée, conduit ses adeptesà renaître chez un dieu, elle empêche d'aller plus loin, jusqu'à ladélivrance des transmigrations, au Nirvâna, car elle leur fait croire,à tort selon le Bouddha, que le bonheur divin est le but suprême. Sidonc, en tant que guide des hommes vers une heureuse destinée, Jésusest, aux yeux des bouddhistes, admirable et vénérable pourl'enseignement de sa morale, il ne l'est pas en ce qu'il fourvoie sesdisciples par une doctrnie erronée. Celle-ci l'est en effet, pensentles adeptes du Bouddha parce qu'elle est fondée sur la croyance en unDieu unique, éternel et créateur de tout ce qui existe, et en une âmeelle aussi éternelle, présente au fond de chaque homme. Elle esterronée en ce qu'elle ne reconnaît pas la nature essentiellementimpermanente, vide de tout principe personnel, et par conséquent vouéeau malheur, à la peine et à la souffrance, de chaque être. Elle l'estencore en ce qu'elle exhorte les fidèles à développer une dévotionenvers son dieu et un amour envers les êtres humains qui ont tous lesdeux une nature passionnée, alors que le Bouddha dénonce la passionsous toutes ses formes comme étant un obstacle majeur à la délivranceet recommande au contraire le détachement le plus complet, même dansl'exercice des vertus les plus sublimes, la bonté, la compassion, lacharité et le pardon, poussées jusqu'à leurs plus extrêmes limites.
Ainsidonc, en théorie, pour les bouddhistes, si Jésus est certes unpersonnage admirable, hautement vénérable et digne d'un culte, si l'ondoit reconnaître sans aucun doute sa sainteté et si l'on peutvolontiers admettre qu'il est devenu un dieu après avoir été un hommeil y a quelque vingt siècles, il occupe cependant une place nettementinférieure à celle du Bouddha dans la hiérarchie des êtres, bien que leBouddha n'ait été qu'un homme dans sa dernière existence, alors queJésus a dû devenir un dieu. Il est vrai qu'aux yeux des bouddhistes,leur maître vénéré s'est élevé par lui-même, tout en demeurant dansl'humaine condition, bien au-dessus des dieux, de tous les dieux, pours'être "éveillé" à la Vérité suprême, avoir découvert la voie menant auNirvâna, ce dont aucun dieu n'était capable à cause de sa naturedivine. En effet, le bonheur sans nuage dont jouissent les dieux lesempêche de connaître la douleur, la peine, le malheur inhérent à touteexistence sous quelque forme qu'il se présente. Or, cette connaissancede la douleur est, pour les bouddhistes, le premier pas sur le trèslong et fort difficile chemin qui conduit à la délivrance destransmigrations.
Après avoir cherché quels regards lesbouddhistes pouvaient porter sur Jésus en se fondant uniquement sur lesbases de la doctrine qu'ils ont reçue et en laquelle ils croient,voyons maintenant comment ils voient réellement la personne de Jésus,en utilisant cette fois leurs propres témoignages.
Pour cela,j'ai fait appel à quatre de mes meilleurs collaborateurs, ayant chacun,dans un domaine différent, une excellente connaissance des opinions desbouddhistes de notre temps. Le vénérable Thich Thiên Châu, docteur èslettres, est un ancien dignitaire du bouddhisme vietnamien. M. MohanWijayaratna, né d'un mariage mixte, chrétien et bouddhiste, termine unethèse de doctorat sur certains aspects du bouddhisme singhalaise et apar ailleurs écrit plusieurs articles fort intéressants, dont l'untraite précisément notre sujet, dans l'optique singhalaise. Le pèreEugène Denis, docteur ès lettres et chargé de recherches au C.N.R.S.,réside en Thaïlande depuis plus de trente ans et il y poursuit destravaux de grande valeur sur le bouddhisme de ce pays. M. Paul Magnin,également chargé de recherches au C.N.R.S. a séjourné en Extrême-Orientpendant de longues années, notamment à Taïwan, et s'est spécialisé dansl'étude du bouddhisme chinois. Je dois aussi reconnaître l'aideprécieuse que j'ai retirée de la lecture du livre que mon collègue etami, M. Jacques Gernet, membre de l'Institut, a publié il y a deux anschez Gallimard sous le titre "Chine et christianisme, action et réaction", ouvrage qui nous fait connaître et comprendre les opinions deschinois, bouddhistes et autres, sur le christianisme et sur Jésus aucours des XVIIe et XVIIIe siècles.
L'examen des jugementsportés par les adeptes du Bouddha sur la personne du Christ devraitêtre lié, au moins dans une certaine mesure, à celui de ceux qu'ils ontformés envers le christianisme. Malheureusement, cette dernière étudeest en elle-même trop complexe pour que nous ayons le temps del'aborder ce soir, ne serait-ce qu'en raison de la mutiplicité desdocuments qu'il nous faudrait utiliser pour cela.
Les regardsposés sur Jésus lui-même par les bouddhistes diffèrent avec lesépoques, les pays et les sectes si diverses du bouddhisme, mais ilstendent à converger aujourd'hui.
Les jugements les plussévères furent formulés par les chinois des XVIIe et XVIIIe siècles,mais il est assez difficile de distinguer en eux ce qui revientprécisément aux bouddhistes de ce qui fut exprimé par lesconfucianistes et les taoïstes. Jésus, déclaraient-ils, ne fut qu'unhomme, condamné à mort pour avoir suscité de graves troubles publics,avoir perturbé cet ordre social auquel toutes les traditions orientalesétaient très attachées. La mort ignominieuse infligée à Jésus, soumisau supplice de la croix comme un criminel, et les cruelles souffrancesqu'il a subies ne sont, aux yeux des bouddhistes, que les fruits, leseffets de ses mauvaises actions passées et en rapport avec la gravitéde celles-ci. La théorie bouddhique de la rétribution automatique desactes des vies antérieures a donc conduit certains bouddhistes à penserque Jésus avait commis un meutre dans une existence précédente. Enoutre, s'étant montré incapable d'échapper au supplice, de se libérerlui-même par un moyen naturel ou prodigieux, comment pouvait-ilprétendre délivrer les autres hommes ? Si Jésus était dieu, le granddieu souverain, en s'incarnant il aurait privé le monde de direction,ce qui aurait eu des conséquences catastrophiques. S'il n'était aucontraire qu'une émanation de Dieu, il aurait été bien inférieur auBouddha, qui a découvert par lui-même, sans aucune aide extérieure,divine ou autre, la doctrine de salut et l'a enseignée de sa propredécision. De toute façon, si Jésus était dieu, il ne pouvait êtrequ'une divinité quelconque, soumise à la dure loi de la transmigration,et par là aussi inférieur au Bouddha, qui a su et pu mettre un terme àses renaissances successives. Accorder de l'importance à l'incarnationde Jésus, c'est s'attacher à ce que le bouddhisme regarde comme étantrelatif et conditionné, à ce qui appartient au monde essentiellementchangeant des transmigrations. De plus, cette incarnation estlogiquement tout à fait incompatible avec la nature trinitaire que luiattribue le dogme chrétien. Quant aux miracles qu'on prête à Jésus etdont ses fidèles font si grand cas, ils font vraiment piètre figure àcôté des prodiges autrement grandioses que le Bouddha aurait accomplis,à l'échelle d'un univers pratiquement illimité dans le temps comme dansl'espace et peuplé d'une infinité de mondes semblables au nôtre.
Lesjugements portés aujourd'hui par les bouddhistes sur Jésus sontbeaucoup plus favorables, en raison de l'apaisement de l'anciennehostilité qui avait opposé les deux religions. certes, les fidèles duBouddha ne reconnaissent pas, ne peuvent pas reconnaître en Jésus leChrist, le Messie, le Sauveur des hommes non plus que le Dieu créateur,éternel et tout-puissant, pour la bonne raison que ces mots sont poureux vides de sens et les notions qu'ils désignent de pures illusionsnées des cogitations vaines d'esprits obnubilés par l'ignorance, ausens où les bouddhistes entendent ce dernier mot. Certes encore, ilsrefusent de placer Jésus au-dessus du Bouddha, par exemple de faire decelui-ci une sorte de prédécesseur de celui-là comme a récemmentproposé de la regarder un certain missionnaire dans un article où lamaladresse l'emportait sur la bonne volonté. certes enfin, lesbouddhistes nient la réalité de la résurrection de Jésus, parce que lanotion de résurrection est totalement étrangère à leur doctrine, commeaussi à celles des hindous et des jaïnas, car la renaissance qui suitla mort et qui est à la base de leurs croyances communes a une naturetoute différente de la résurrection telle que la conçoivent leschrétiens.
Ces réserves étant faites, réserves clairementfondées sur l'enseignement du Bouddha, les adeptes de celui-ci portentaujourd'hui presque unanimement un jugement très favorable sur Jésus.Celui-ci leur inspire un grand respect et même de l'admiration, sanspour autant qu'ils éprouvent le moindre besoin, le moindre désir de seconvertir au christianisme. Il soulignent très volontieers les grandesressemblances qui rapprochent certains aspects de la personne de Jésusde celle du Bouddha : Une vie très pure, guidée par une morale de hauteélévation et de complet désintéressement, tout imprégnée de bonté et decompassion, d'altruisme sincère et de pardon des offenses, allant aubesoin jusqu'au sacrifice personnel. Jésus et le Bouddha sont,disent-ils, également dignes de vénération, ce sont deux hommeshautement admirables, comparables par le degré élevé de sagesse qu'ilsont atteint l'un et l'autre.
Le vénérable Thich Thiên Châuajoute à cela des considérations intéressantes, inspirées par ladoctrine propre au Mahâyâna, le grand mouvement réformateur apparu il ya vingt siècles et d'où le bouddhisme vietnamien tire son origine commeles autres formes, si diverses, prises par la religion du Bienheureuxen Extrême-Orient et en Asie Centrale. La doctrine des trois corps duBouddha permet, pense-t-il, de mieux comprendre la nature de Jésus quene le fait l'enseignement du bouddhisme antique, encore si vivant àCeylan et en Asie du Sud-Est. Le Mahâyâna attribue trois corpsdifférents au Bienheureux : un corps apparent, visible aux hommesordinaires, dans lequel il est né, a passé son existence humaine et estmort; un corps dit de jouissance, corps glorieux en lequel il se montreaux bodhisattva , êtres qui se destinent résolument à devenir unbouddha dans un avenir très lointain et s'emploient pour cela àpratiquer les différentes vertus jusqu'à leur perfection en se dévouantpour aider et sauver les êtres; enfin le corps dit de dharma , ce motdésignant à la fois l'ordre cosmique et l'ordre spirituel, considéréscomme identiques avec l'essence de la doctrine bouddhique, corps del'absolu qui est lavéritable nature des bouddhas et aussi celle qui estprésente, mais cachée, au tréfonds de tous les êtres, ce pourquoi tousceux-ci sont destinés au salut, si lointain que puisse être ce dernier.On peut retrouver les équivalents de ces trois corps en Jésus-Christ,pense le Vénérable, expliquer sa nature à la fois humaine et divine,comprendre comment il a pu simultanément exercer sa mission salvatricedans le monde et demeurer dans l'absolu de sa béatitude. Le premiercorps serait celui qu'ont connu les hommes ordinaires, celui du Jésusde l'histoire, qui est né, a prêché, a souffert et est mort sur lacroix. Le deuxième serait le corps merveilleux que trois de sesdisciples, Pierre, Jacques et Jean, ont contemplé sur la montagne aumoment de la transfiguration. Le troisième serait la forme de Dieuinaccessible à l'esprit humain, le vrai corps de Jésus, celui de Dieului-même, du Père de la Trinité chrétienne. Cette analogie des deuxfondateurs de religions permet aux bouddhistes d'Extrême-Orient unemeilleure compréhension du Christ et de ses Evangiles, et leur inspireune attitude respect. Comme le dit fort joliment Thich Thiên Châu :"Onadore bien la pureté du lotus, mais on apprécie également la beauté deslis et des roses."
Le Vénérable vietnamien fait un autrerapprochement, cette fois entre le christianisme et l'amidîsme, formedu bouddhisme extrême-oriental fort importante et qui est fondée sur laseule dévotion envers un bouddha particulier, Amitâbha, "Lumièreinfinie", qui a fait jadis le voeu d'accueillir dans son paradis de la"Terre pure", tous les êtres qui feront appel à lui. Or, le bouddhaAmitâbha a pour subordonné le plus célèble des bodhisattva,Avalokiteshvara, le tout-compatissant, toujours prêt à voler au secoursdes êtres en détresse et qui a renoncé à devenir un bouddha tant quetous les êtres n'auront pas atteint la délivrance des transmigrations,la béatitude inconcevable du Nirvâna. La comparaison avec Jésus estclaire, et c'est pourquoi les adeptes du Mahâyâna, ceux de l'amidismeen particulier, sont portés à vénérer le fondateur du chistianisme àl'égal d'un bodhisattva. Du reste, le Mahâyâna n'attribue-t-il pas àces futurs bouddhas, entre autres vertus, compassion, sagesse, bonté,patience, etc. , celle de "l'habileté dans les moyens" employés poursauver les êtres, ces moyens étant fort variés et comprenant lesprodiges les plus divers, ce qui conduit les mahâyânistes à accepter laréalité des miracles attribués à Jésus ?
Cependant, ajouteThich Thiên Châu, les bouddhistes d'Extrême- Orient, tous adeptes desectes issues du Mahâyâna indien, restent perplexes devant lesdernières paroles qu'aurait prononcées Jésus mourant sur la croix :"Mondieu, mon dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?"
Ainsi donc,quoique le bouddhisme soit, de toutes les grandes religions, la pluséloignée du christianisme par ses enseignements et, dans une largemesure, par ses pratiques, il est sans doute, paradoxalement, celle quireconnaît le mieux sa haute valeur spirituelle. C'est particulièrementvrai aujourd'hui où le christianisme vient d'abandonner l'hostilitéfoncière qu'il a si longtemps manifestée envers toutes les autrescroyances et se montre enfin disposé à voir en elle, non pas desoeuvres du démon, mais des tentatives souvent fort respectables desoulager les hommes de leurs peines et de leurs angoisses en leuroffrant l'espoir d'un avenir meilleur. Les relations généralementexcellentes qui existent de nos jours entre bouddhistes et chrétiens,et surtout entre les représentants les plus qualifiés des uns et desautres dans l'Asie méridionale et orientale, sont significatives etencourageantes. Parmi leurs conséquences les plus intéressantes, ilfaut compter les regards favorables et profondément respectueux que lesbouddhistes de notre époque posent en leur très large majorité sur lapersonne de Jésus, quels que soient les pays où ils vivent et lesformes du bouddhisme auxquelles ils adhèrent.
André BAREAU



Les bouddhistes croient-ils en la réincarnation ?

Dans le bouddhisme nous pouvons transcender la notion de naissance et de mort et nous utilisons le mot de remanifestation.
Enseignement du 22 décembre 1994 donné par Maître Thich Nhat Hanh au Village des Pruniers
Jevoudrais savoir combien parmi vous ont vu le film intitulé " LittleBuddha " ? Une enquête a permis d’établir en 1983 que 25 pour cent desEuropéens croient en la réincarnation. Huit ans plus tard, auxEtats-Unis, on a découvert que 23 pour cent des Américains croient àune certaine forme de réincarnation. Il y a donc beaucoup de gens quisont prêts à croire ou qui sont favorables à l’idée de réincarnation.Parmi ces gens il y a des catholiques, des protestants, etc. Desdirigeants chrétiens disent que les enseignements de la réincarnationne correspondent pas à ceux du christianisme. Mais comme tant depersonnes y croient, ils pensent qu’il est impossible de refuser cettenotion.
Lanotion de réincarnation est populaire pour plusieurs raisons : d’abordil semble que certains individus qui nuisent aux autres par leurcomportement ne souffrent pas du tout ; c’est une forme d’injustice, ilfaudrait donc qu’il y ait une vie future pour que ces gens puissent enquelque sorte payer en échange du mal qu’ils ont commis.
L’autreraison c’est que la durée de la vie terrestre est trop courte pour àelle seule décider de l’éternité. Nous vivons 50, 60 , 70 ans seulementet nous voudrions avoir d’autres possibilités pour réussir à être enharmonie avec Dieu, pour prouver que nous sommes capables de vivremieux.
Uneautre raison c’est la peur du néant. Si ce corps disparaissait,recommencer dans un autre corps plus sain, ce serait comme de changerde vêtement. Il faut donc qu’il y ait d’autres vies pour continuer etainsi la notion de réincarnation est très réconfortante et elle prendracine en Occident.
Acause du film de Bertolucci les gens pensent de plus en plus à laréincarnation. Une chose amusante est qu’en Asie on n’aime pastellement l’idée de réincarnation parce qu’on voudrait plutôt que laroue de l’existence cesse et avec elle le cycle des souffrances. Maisen Occident, il semble que l’on aime cette idée. Il y a donc unedifférence de mentalité entre l’Occident et l’Orient. C’est un fait quel’idée de réincarnation avec la notion de continuation qu’elle impliqueest actuellement très populaire.
Aucours du troisième siècle après J.C. un théologien catholique du nom deOrigen a enseigné la préexistence de l’âme avant son entrée dans lecorps. Il s’agit donc d’incarnation et non de réincarnation. Il sembleque cette idée soit très proche de l’autre parce que si vous êtesincarné une fois il est possible que vous le soyez une autre fois. En540 environ Origen a été condamné par le concile de Constantinople àcause de cette idée.
Lanotion de résurrection est proche de celle de réincarnation. Qu’est-cequi doit être ressuscité sinon le corps ? Donc nous pouvons utiliser lanotion de réincarnation. Lorsque le corps est restauré l’âme entrera ànouveau dans le corps. D’après les enseignements du Jugement Dernierchacun doit retrouver son corps ressuscité et c’est bien uneréincarnation. Il est difficile de dire qu’il n’y a pas deréincarnation dans le christianisme. Certains théologiens chrétiensdisent que pour inclure la notion de réincarnation il faudrait modifierde nombreux enseignements à l’intérieur même du christianisme. Nous nesommes pas sûr de cela parce que les éléments de réincarnation sontvraiment là dans les enseignements du christianisme.
Nousvoulons tous savoir ce qui va arriver après notre mort et nous nousrévoltons tous contre l’idée que nous devons mourir. C’est pourquoil’idée de réincarnation est très importante pour nous. Devons-nouscontinuer ou pas après la mort ? et où et quand ?
Noussavons que les humains ne peuvent pas être heureux s’ils ne croient pasen quelque chose. La foi est importante, mais la foi c’est quelquechose de vivant, c’est comme l’amour, la haine, le désespoir , c’estune formation mentale. C’est une chose vivante et tout ce qui estvivant change. Votre foi c’est quelque chose de vivant qui doit changerau cours du temps, qui doit grandir comme un arbre. La foi qui était lavôtre quand vous aviez dix ans n’est plus là. Que vous soyez chrétien,musulman, marxiste, bouddhiste ; la foi est quelque chose qui doitchanger tout le temps : il faut accepter ce fait. L’avantage de l’étudeet de la pratique du bouddhisme, c’est qu’on nous rappelle constammentque tout change y compris notre foi, la foi est une chose vivante.
Alorsque vous continuez à vivre, votre foi grandit. C’est la même chose danstoutes les traditions spirituelles et nous ne devons pas craindrel’arrivée d’un changement dans notre façon de croire. En fait, lorsqueles choses arrêtent de se développer, la vie devient impossible. D’unepart, nous savons que sans foi nous ne pouvons pas vivre, nous nepouvons pas être heureux. D’autre part, nous savons que la foi estquelque chose qui change. Il y a donc le risque de perdre votre foi etdans ce cas vous devenez une sorte de fantôme affamé.
C’estpourquoi notre attitude vis-à-vis de la foi est très importante. Nousdevons prendre soin de notre croyance, de notre foi, d’une façon trèssage, de sorte que notre foi se développe dans la direction qui nousapportera plus de paix et de joie.
Ily a plusieurs années vous aviez une idée à propos du Bouddha, cetteidée était en rapport avec votre foi dans le bouddhisme. Maintenantaprès plusieurs années de pratique vos notions à propos du Bouddha ontbeaucoup changé et bien sûr votre foi a aussi changé. Donc votre foidépend de vos notions, de votre perception, de vos études, de votrepratique. Nous devons abandonner nos perceptions, nos notions, de façonà avoir une perception meilleure, une foi meilleure. Nous ne pouvonspas nous associer une seule notion à un objet unique de notre foi.
D’abordil se peut que nous croyions que la réincarnation correspond à l’idéeque l’âme entre dans le corps. Nous pouvons dire que l’âme estpermanente et le corps impermanent. Lorsque nous nous débarrassons d’uncorps nous pouvons entrer à nouveau dans un autre corps. L’immortalitéde l’âme et l’impermanence du corps, c’est peut-être une premièrenotion de réincarnation. Il se peut que nous commencions comme cela etque nous nous appelions bouddhistes, c’est accepté pour un débutant.Mais si vous continuez à être un bouddhiste vous devez pratiquer pluset l’idée de l’immortalité de l’âme doit faire place à une autre idéeplus proche de la réalité.
Sivous étudiez les soutras, si vous pratiquez l’observation de votreesprit ; vous verrez qu’il n’y a rien de permanent dans l’ensemble descinq skandas : le corps, les sensations, les perceptions, lesformations mentales et la conscience. Tout change constamment. Il n’y apas une seule chose qui reste identique pendant deux momentsconsécutifs. Vous voyez que non seulement le corps, mais aussi l’âmeest impermanente, parce que l’âme est faite d’éléments tels que lessensations, les perceptions, les formations mentales et la conscience.En dehors de ces éléments il n’y a rien que vous puissiez appeler uneâme. L’idée d’immortalité de l’âme doit être remplacée et votrecompréhension de la réincarnation sera plus proche de la réalité.
Onappelle bouddhisme populaire le bouddhisme des masses. Mais si vouscontinuez, vous entrez dans un autre bouddhisme : le bouddhisme profond; et c’est un domaine que nous explorons. A cause de cette explorationnous sommes plus proches de la réalité de nous-même et du Dharma.L’idée de réincarnation est encore là mais notre compréhension estdifférente.
Ré-in-carnation: "carn", c’est la chair. L’idée consiste en ce qu’il y ait une âme, uncorps et l’âme pénètre dans le corps. Dans le bouddhisme on n’utilisepas le mot réincarnation mais le mot renaissance, parce que la notionde réincarnation implique l’existence d’une âme immortelle qui entre etsort du corps et entre à nouveau dans un autre corps. Il n’existe riende tel que cette âme immortelle qui sort d’un corps pour entrer dans unautre. L’utilisation du mot renaissance est perçue comme quelque chosed’inadéquat parce que le mot naissance représente quelque chose quin’existe pas vraiment si nous sommes capables de toucher la réalité dela non-naissance et de la non-mort.
Etrené veut dire qu’à partir de rien on devient quelque chose et que dequelque chose on devient rien lorsque l’on meurt. J’existe pendant tantd’années et tout d’un coup je cesse d’exister. C’est la notionhabituelle de mort et de naissance. Observant ce qui nous entoure nousvoyons que rien ne fonctionne ainsi.
Ily a une fleur et nous pensions que c’est quelque chose qui vient derien. Mais avant sa naissance la fleur existe sous une autre forme.Dans le bouddhisme nous pouvons transcender la notion de naissance etde mort et nous utilisons le mot de remanifestation. La naissance de lafleur c’est un jour de remanifestation. La fleur était donc déjà làsous une certaine forme mais nous n’étions pas capable de lareconnaître. Vishnapti veut dire se manifester de façon à ce que lesgens reconnaissent et perçoivent. L’idée de manifestation impliquel’idée d’une manifestation antérieure. Cette chose est toujours là. Siles conditions sont suffisantes cette chose peut à nouveau semanifester. Et, lorsque nous voyons les choses se manifester, nousdisons qu’elles sont nées mais en fait elles ne sont pas nées, elles semanifestent. Parce qu’être né c’est à partir de rien. Donc il y a euquelque chose avant qu’il y ait manifestation.
Lesnotions de naissance, d’existence, de venir, de paraître sont desnotions que nous appliquons à une chose après qu’elle se soitmanifestée. Avant la manifestation de cette fleur nous ne la voyonspas. Nous disons : la fleur n’est pas encore née. Lorsqu’elle semanifeste nous disons : la fleur est née, elle est arrivée. Etre né,être arrivé, c’est s’être manifesté et lorsque la fleur à cause d’unmanque de conditions nécessaires arrête de se manifester nous disonsqu’elle n’est plus. Donc toutes nos notions comme la naissance, lamort, l’être, le non-être , venir, partir, toutes ces notions doiventêtre transcendées. La réalité est en dehors de ces notions. Lorsquenous étudions le bouddhisme et pratiquons le regard profond nous nouslibérons de toutes ces idées. Nous avons toujours une croyance et elleest de plus en plus solide et personne ne peut nous l’enlever, parceque notre croyance n’est pas faite de notions mais de la réalité.
Audébut on peut croire à la réincarnation et grâce à cette croyance vousavez l’impression d’être sur un chemin, mais lorsque vous commencez àpratiquer votre idée sur la réincarnation change. Au début vous avezl’idée de cette âme immortelle qui entre dans un corps et qui en sortpour entrer dans un autre. Mais, comme vous observez profondément àl’intérieur et à l’extérieur vous comprenez que cette notion est un peunaïve. Donc vous transcendez cette notion et ainsi votre foi sedéveloppe. Comme la croissance de votre foi est basée sur l’observationvéritable, vous avez toujours votre croyance et elle continue à vousapporter de la joie, vous savez que même si votre croyance changedemain, vous n’aurez pas peur parce que vous approchez de plus en plusla réalité. Il n’y a aucun risque de ne plus avoir de croyance parceque vous avez décidé d’être un avec la réalité. Si vous décidez de vousattacher à un concept vous risquez de douter et alors, vous allezplonger dans la nuit de la non-croyance et c’est un moment trèsdifficile dans une vie.
Audébut de votre pratique du bouddhisme vous avez une notion du Bouddha,du Dharma et de la Sangha. Vous exprimez votre désir de prendre refugedans le Bouddha, le Dharma et la Sangha. Votre croyance dans leBouddha, le Dharma et la Sangha est basée sur votre compréhension destrois joyaux à ce moment. Mais alors que vous pratiquez, vos notions deBouddha, de Dharma et de Sangha ont changé et c’est une bonne chose.Parce que si dix années passent sans que votre croyance évolue vousrisquez de vous réveiller et de ne plus croire en ce que vous croyiez.Il semble que cette notion n’est plus valable et vous êtes plongé dansl’obscurité de la non-croyance. Nous ne devons pas accepter une chosecomme la vérité et la garder comme une notion en nous. Nous devonsobserver cette chose chaque jour nous devons toucher la réalité denotre vie spirituelle chaque jour et c’est une façon très sûre de nousoccuper de notre croyance.
AuVillage des Pruniers vous avez appris que le Bouddha est une personneéveillée qui a beaucoup de compréhension et de compassion. Vousapprenez que vous aussi vous avez l’éveil et que vous pouvez cultiverla compréhension et la compassion. On vous donne des instructions poury arriver. On vous explique qu’il y a une semence de Pleine Conscienceen vous. Si vous voulez arroser cette semence chaque jour, si vouspratiquez le toucher de cette semence chaque jour, cette semence va sedévelopper et vous procurer l’énergie de la compassion, de lacompréhension, de l’amour, de la joie. En pratiquant vous remarquez quel’enseignement est vrai parce que votre compréhension, votre toléranceet votre compassion se développent chaque jour. A cause de cela(l’expérience directe de la pratique) vous croyez dans la pratique dela Pleine Conscience et personne ne peut retirer cette croyance devous. On vous dit que l’essence de Bouddha c’est I énergie de la PleineConscience en lui ou en elle. On vous dit que vous avez cette semencede Pleine Conscience et que vous avez la capacité d’un Bodhisattva. Etcomme l’énergie de la Pleine Conscience c’est l’essence d’un Bouddha oud’un Bodhisattva, vous savez que le Bouddha et le Bodhisattva sont là.Parce que chaque fois que vous êtes soutenu, que vous êtes motivé, quevous êtes éveillé par l’énergie de la Pleine Conscience vous voussentez bien, joyeux, vivant vous sentez la force en vous et doncl’énergie de la Pleine Conscience est l’objet de votre croyance. Sivous croyez en la Pleine Conscience en vous-même ; votre croyance dansle Bouddha sera identique à cela. Donc vous n’avez pas besoin d’alleren Inde pour rencontrer le Bouddha. Vous n’avez pas besoin de retourner2600 ans en arrière pour rencontrer le Bouddha. Vous savez que vouspouvez rencontrer le Bouddha dans l’ici et le maintenant chaque fois etoù vous -le voulez. L’autre jour, j’ai dit que si j’entends que leBouddha est maintenant dans l’état de Bihar en Inde au pied de lamontagne Gridakuta, que si l’on veut le rencontrer et pratiquer laméditation marchée il faut acheter un ticket d’avion. Je ne suis pastenté de faire cela parce que je sais que je peux être avec le Bouddha.Je peux le faire tout de suite, je n’ai pas besoin d’aller où que cesoit pour le faire. Et nous tous pouvons le faire parce que le Bouddhan’est pas une image pour nous ce n’est pas plus une notion. C’estquelque chose de plus substantiel que l’on peut toucher à chaque momentet si vous avez ce genre de foi vous êtes réconforté, personne ne peutvous enlever cela et au moment de mourir vous serez fort parce que voussavez qu’il n’y a ni mort ni naissance mais seulement desmanifestations et des cessations de manifestation.
Aumois d’avril on ne peut voir aucun tournesol autour du Village desPruniers et on pourrait dire qu’ils ne sont pas là. Pourtant lesgraines de tournesol ont déjà été plantées, les fermiers ont toutpréparé et ils sont conscients de cela. Lorsqu’ils regardent lescollines et les champs vides ils peuvent déjà voir les champs couvertsde fleurs. Il se peut que nous ayons l’impression que les tournesolsn’existent pas à ce moment là, mais cette notion ne correspond pas à laréalité. Les tournesols sont là mais il manque quelques conditionscomme la chaleur des mois de juillet et d’août. C’est la raison pourlaquelle nous ne voyons pas de tournesol. Alors qu’il marchait seul,Saint François d’Assise s’est approché d’un amandier, il a regardéprofondément cet arbre et lui a demandé : "Parle moi de Dieu". Et toutd’un coup l’amandier s’est couvert de fleurs. Lorsque j’ai lu cettehistoire, j’ai eu l’impression de lire une histoire zen, parce que leshistoires zen ressemblent à cette histoire.
Siau mois d’Avril, en marchant, vous passez près d’un champs detournesols, demandez aux collines de vous montrer le Royaume des Cieux,la Terre Pure. Il se peut que le champ se couvre tout d’un coup detournesols. En fait les fermiers qui ont planté les semences saventqu’elles sont là et ils sont capables de voir les fleurs. Il suffitd’être ici en juillet pour voir tout le champ couvert de tournesols.
Dansle bouddhisme nous parlons en termes de dimension historique et dedimension ultime. Dans la première nous voyons plusieurs signes commela naissance, la mort, l’être, le non-être, l’aller, le venir.
Dansla dimension historique vous pouvez penser que le Bouddha vivait il y a2600 ans et qu’il vous faudra peut être attendre de très nombreusesannées avant qu’un autre Bouddha apparaisse. Il se peut que vousplanifiez votre vie d’après cette opinion, mais si vous choisissez ladimension ultime vous verrez que vous pouvez tenir la main du Bouddhapour partir en méditation marchée immédiatement.
Lesdeux dimensions sont une. Vous ne pouvez pas imaginer la dimensionultime distincte de la dimension historique. C’est comme les vagues etl’eau. Les vagues vues à la surface de l’océan représentent ladimension historique mais la substance qui crée la vague, c’est l’eauet bien que les vagues semblent avoir un début, une fin, un haut et unbas, l’eau dans les vagues ne peut pas être décrite par cescaractéristiques.
Ladimension ultime ne dépend pas des signes, des notions d’existence, denon-existence, de l’aller et du venir. Nous savons que l’eau et lesvagues sont unes et nous ne pouvons pas séparer l’une de l’autre. Ladimension historique est une avec la dimension ultime. Si vous saveztoucher les vagues profondément, vous pouvez toucher l’eau. Si voussavez toucher profondément le monde de la naissance et de la mort, del’aller et du venir, vous pouvez toucher le monde de la non-naissanceet de la non- mort, du non-aller et venir. C’est cela, notre pratiquede chaque jour. II faut vivre votre vie de telle façon que vouspuissiez toucher la dimension ultime plusieurs fois par jour, sinontout le temps.
Supposezque vous regardiez ce pot de fleurs. Si vous êtes en Pleine Conscience,et il y a des façons d’être en Pleine conscience comme par exemplerespirer, s’incliner profondément devant la fleur. Tout d’un coup lafleur se révèle à vous : la fleur est une manifestation et nous mêmesommes une manifestation. Les fleurs représentent tout le cosmos,l’infini, dans le temps et dans l’espace et nous aussi.
Sivous continuez à être là, à observer alors vous pouvez toucher ladimension ultime de la fleur et vous touchez votre propre dimensionultime. A ce moment vous pouvez vous établir dans la dimension ultime,libéré des notions de naissance et de mort, d’aller et de venir, d’êtreet de non être.
Vousne voyez pas seulement la présence de la fleur comme une chosemerveilleuse mais aussi la manifestation de vous-même comme une chosemerveilleuse. Selon votre regard profond vous toucherez plus ou moinsprofondément la dimension ultime de la fleur et de vous-même. LeBouddha nous offre le genre de pratique qui peut nous aider à toucherla dimension ultime.
L’autrejour je parlais de la pratique de toucher la terre. Chaque soir avantou après la méditation assise nous faisons trois, cinq ou sixprosternations. En joignant les paumes de mains, en vous inclinant vousvous voyez en contact avec tous les ancêtres. Ancêtres spirituels etancêtres de la famille, vous vous voyez comme la continuation de cesancêtres, vous voyez qu’ils sont vous-même et vous voyez aussi vosenfants et petits enfants et disciples présents dans ce moment. Dansl’acte de toucher la terre, vous vous rendez à la terre pour être avecle courant d’être que vous êtes vraiment. A ce moment vous êtes vosancêtres mais aussi les générations futures. Simplement en touchant laterre de cette façon vous touchez la dimension ultime. Restant ainsipendant quelques minutes :inspirez, expirez et vous vous voyez commeétant chaque personne de la lignée. A ce moment là vous n’êtes pluspris par la notion de moi tel que :" Je suis ce corps ". Le Bouddha adit :
"Ces yeux ne sont pas moi, je suis plus que ces yeux ". Touchant laterre pour la seconde fois il se peut que vous soyez tout d’un coup unavec la terre, avec les montagnes, avec les pins. Touchant la terre,vous êtes tout : la fleur, la table. Vous êtes libres des notions demoi. A ce moment vous touchez la dimension ultime.
Ilse peut que vous fassiez cela par respect pour le Bouddha et lesancêtres. Vous restez vous-même et les ancêtres restent eux-mêmes. Unepersonne distincte s’incline pour montrer sa gratitude envers lesancêtres. Cette pratique est utile mais en continuant vous allezapprofondir et en vous inclinant vous toucherez la dimension ultime.
Sinous pouvons toucher la dimension ultime une transformation se passe ennous. La peur, la douleur commencent à se transformer. La joie, laliberté, la paix vont se développer en nous, nous nous sentons bien ennous-mêmes. Nous sentons que l’amour et la compréhension nous habitentet les gens, les arbres, l’eau et l’air autour de nous vont sentir lamême chose.
Décembre 1994

Thich Nhat Hanh


Qu'est ce que la réalité

Toutce que vous considérez comme bon ou mauvais, le monde des sens dans satotalité, est votre invention mentale. C’est votre esprit qui le créé.
Laissez-moivous poser une question. Qu’est-ce que la réalité ? Est-ce que laréalité est votre vision du chocolat convoité ? Lorsque vous avez desproblèmes, lorsque vous êtes en conflit, que vous voyez des gensmalheureux, est-ce la réalité ou pas ? Je vais vous le dire : tout ceque vous considérez comme bon ou mauvais, le monde des sens dans satotalité, est votre invention mentale. C’est votre esprit qui le créé.Rien de ce qui existe dans ce monde n’est absolument ou automatiquementbon ou mauvais. C’est impossible !
Chandrakirti,le célèbre saint indien du mahayana qui commenta la philosophie duMadhyamika de Nagarjuna, donne l’exemple suivant : Imaginez une tassed’eau et trois êtres différents en train de la regarder. L’un est unêtre humain, le second est un dieu samsarique et le troisième un préta,un esprit avide. Bien qu’ils contemplent le même objet, la même tassed’eau, chacun la perçoit de manière totalement différente. L’êtrehumain la voit comme une tasse d’eau, le dieu voit du nectar defélicité, de l’amrita, l’esprit avide ne voit que du sang ou du pus.Qu’elle est la réalité ? Qui possède la perception juste ?
Voiciun autre exemple : chaque homme choisit la femme qu’il aime suivant sespropres critères. Et suivant leur propre vision du bien et du mal, lesfemmes font leur choix parmi les hommes. Si vous y réfléchissez,comment pouvez-vous faire paraître une personne belle ou laide ? C’estune fabrication totale de l’esprit. Vérifiez. Le fait que vous aimiezou non quelqu’un ne vient pas du fait qu’il soit bon ou mauvais parnature, mais du fait que vous ayez une idée arrêtée, un à prioriconcernant ce qu’il doit être. Vous réagissez automatiquement : bon oumauvais.
C’estune autre manière de dire que vous n’êtes pas libéré. Les conflits quivous opposent à autrui sont produits par votre idée fixe et fanatique àpropos du bon et du mauvais. Vous ne possédez pas une compréhensionuniverselle ; votre vision fanatique empêche la croissance de votresagesse universelle et de votre compassion, l’essence de Chenrézig.
Laréponse de Lama Tsong Khapa au débat de Chandrakirti est que dans latasse d’eau existent en même temps la réalité de l’eau, la réalité del’énergie de béatitude et la réalité du sang ; comment ? L’énergiekarmique puissante, l’empreinte, qui est latente en chacun estréveillée par la cause coopérante, la vision de la tasse d’eau, et lacombinaison des deux produit la réalité de l’eau, de l’amrita ou dusang. Discutez-en ensemble, et petit à petit, je pense que vouscomprendrez.
End’autres termes, ces trois perceptions sont correctes. Dans cet objet,la tasse d’eau, se trouvent l’énergie de l’eau, l’énergie de l’amrita,l’énergie du sang. C’est la même chose lorsqu’une femme regarde unhomme et qu’elle le trouve charmant et qu’une autre le trouve laid. Etsi une centaine de femmes le regardait, on aurait une centaine depoints de vue différents. Néanmoins, il existe dans cet homme l’énergiecorrespondante à ce que chacune voit, tout comme pour l’eau.
Unautre grand saint du Mahayana, Shantidéva, a commenté les enseignementsde la Prajnaparamita du Bouddha, les Enseignements sur la sagesse de lavacuité, afin qu’ils puissent être mieux compris. Il a expliqué, parexemple, comment, dans les royaumes infernaux, un être sensible peut seretrouver à brûler dans une maison de fer en fusion entourée de feuxardents. Cet être pourrait se demander : « d’où tout cela vient-il ? »Shantidéva explique que cela ne vient de rien d’autre que de l’espritmême de cet être. Ce n’est pas comme si quelqu’un se trouvant dans unendroit appelé « enfer », avait construit cette maison de fer, alluméces feux ardents et pensait : « Ah ! J’attends Thoubten Yéshé. Il va bientôt mourir et venir ici. Je l’attends de pied ferme ! » Ce n’est pas comme ça. Il n’existe rien de la sorte.
Enréalité, au moment de la mort, l’énergie puissante des actionsnégatives de l’être, -existant en tant qu’empreintes sur l’esprit-, estréveillée, activée, et crée cette expérience de souffrance intense quenous appelons enfer. L’enfer n’existe pas de son propre côté ; l’espritnégatif le fabrique. Shantidéva en donne l’explication en se référantaux soutras du Bouddha qui traitent de ce sujet. C’est trèsintéressant. Et c’est également très important, donc vous devriezchercher et y réfléchir.
Lorsquevous avez une approche du Lam-Rim purement intellectuelle, vous pouvezpenser que l’enfer est réel, existant de son propre côté, que c’est unechose qui existe réellement, qui a été construite. Puis surgit lapensée : « Oh ! C’est impossible ! » Alors vous doutez. Par contrel’explication de Shantidéva à propos de l’enfer, du brasier etc., estfacilement compréhensible pour les Occidentaux. Votre visiondouloureuse de la réalité est fabriquée par votre propre esprit, votrepropre immoralité ; et votre vision heureuse de la réalité est le fruitde votre propre esprit, de votre propre vertu.
Sivous souhaitez considérer de plus près la réalité, vous pouvez comparerles expériences mentales que vous faites lorsque vous rêvez et celleque vous faites lorsque vous êtes éveillé. Quelle est la différence ?Réfléchissez vraiment. Vous pensez toujours concrètement que cesexpériences sont différentes : mes rêves ne sont pas réels, mais ma viequotidienne est véritablement réelle.
Laquestion est : qu’est-ce que la réalité ? C’est tout. Dans tous lesenseignements du Bouddha, chaque fois qu’il souligne un pointimportant, il dit que l’esprit est le producteur principal de laréalité. La bonté humaine vient de l’esprit. Les problèmes humains, laméchanceté humaine, viennent de l’esprit. La faim des prétas, lesvisions horribles de brasier des êtres infernaux -tout cela vient del’esprit. Bien sûr, le bien et le mal existent vraiment, mais seulementde façon relative. Ils n’existent que sur le plan relatif, et non pasultimement. Comme dit précédemment, l’énergie mentale et lesdifférentes causes coopérantes s’associent et se transforment en notrepropre vision de la réalité.
Voiciune autre manière de voir : Combien de phénomènes universels sont-ilsla réalité pour nous ? Vérifiez. En fait, pour nous, tous lesphénomènes existant ne sont pas la réalité, n’est-ce pas ? Notre espritest limité, donc ce que nous percevons de la réalité est limité, bienque les phénomènes universels soient illimités. Comprenez-vous ?L’énergie avec laquelle votre conscience n’est jamais entrée encontact, n’est pas la réalité pour vous, mais c’est la réalité pourd’autres. De nouveau la question posée est : qu’est-ce que la réalité ?Ceci est une autre approche.
Ilest important de découvrir ce qu’est la réalité pour votre propreesprit, de votre point de vue personnel. Considérez cette table parexemple. Vous affirmez : « Je vois que cette table existe. » Mais enfait, cette table n’existait pas pour vous jusqu’à ce que vous voustrouviez près d’elle et que vous la regardiez. Lorsque vous regardez,infailliblement une énergie mentale est envoyée dans l’atmosphère, puisvous dites, « Je vois une table, cette table. C’est ceci et ceci etcela. » Bien que votre esprit dualiste perçoive la table commeextérieure à vous, en fait c’est une partie de la nature de votreesprit ; la table et votre conscience sont unies.
Dela même façon, c’est votre énergie mentale qui fait apparaître leschoses comme bonnes ou mauvaises. Tout ce que nous percevons estfabriqué mentalement ; rien n’existe extérieurement, fixe d’une manièreou d’une autre.
Extrait du Mandala, le magazine internationl du FPMT (juillet-aout 99)
Traduction Sam Regad

Lama Thubten Yeshe

CONSCIENCE ?
Source: http://www.geocities.com/Athens/Forum/2359/
Texte complet de la question
J'ailu votre présentation sur les cinq agrégats. Vous dites que laconscience est impermanente et a une fin. J'ai lu un recueild'entretiens avec le Dalai-Lama. Celui- ci dit que la conscience estcertes impermanente et en constant changement, mais il dit aussi que laconscience est éternelle, sans début et sans fin. Y aurait-il plusieursconceptions dans le bouddhisme ? Que dit le Bouddha historique ? Unargument irait dans votre sens. Les découvertes scientifiques semblentmontrer que la vie est née de la matière inerte, au cours d'unprocessus de plusieurs milliards d'années. Donc la conscience auraitégalement son origine dans la matière. Si ce processus était totalementexpliqué, alors la mort physique est aussi la fin de la conscience etde l'esprit : après la mort, c'est le néant... Que répond laphilosophie bouddhiste ?
Enfait, j'ai lu cela dans un livre " Cinq entretiens avec le Dalai-Lama "aux éditions Marabout. Il affirme que la conscience est impermanentemais éternelle, sans ajouter d'argument. Peut-être il a vu ses viesantérieures, peut-être c'est juste une croyance, comme il y en a quicroient en Dieu ou à d'autres choses.
Quantà l'expression "extinction totale", cela me fait penser au néant et nonà un état d'éveil et de béatitude. Peut-être la philosophie bouddhistecomprend cette expression comme "réintégration/assimilation totale dansle Tout"..
Réponse :
J'ai déjà dit dans une précédente question relative à une déclaration du Dalaï Lama (Cf. question n°62),combien je trouvai dommage, voire parfois préjudiciable, que cettepersonnalité éminente soit sollicitée sur tous les sujets et que lecontexte des questions qui lui sont posées, de même que des réponsesqu'il y apportait, soit rarement reporté. En outre, il apparaît que sesdéclarations sont souvent extrêmement décevantes ou tellementréductrices. Je souhaiterai qu'au minimum on ne les prenne pas pourargent comptant. Il se trouve, aussi, que pour de nombreuses raisons,je ne suis pas un adepte des bouddhismes tibétains. Je reconnaistoutefois la très grande qualité de ses savoirs, mais je ne sais pasdire qui en est le meilleur porte parole aujourd'hui. En l'occurrence,je ne me suis pas procuré le texte original en question et ne puisqu'émettre des réserves sur la façon dont ses paroles nous parviennentaujourd'hui.
Vousme dite après coup que cette déclaration serait faite dans un ouvrageintitulé " Cinq entretiens avec le Dalai-Lama " aux éditions Marabout.Je n'ai pas lu ce livre et le temps m'a manqué pour me le procurer etlire le passage incriminé. Pouvons-nous imaginer qu'une traductioninappropriée ait pu altérer la réalité d'une réponse faite le DalaiLama qui généralement s'exprime en tibétain ? Vous me dites que " leDalai Lama affirme que la conscience est impermanente mais éternelle,sans ajouter d'argument ".
Jeprends acte de cette affirmation, et je tenterai de résoudre cettequestion dans de futures investigations. Quoi qu'il en soit, jesouhaitais simplement souligner que le bouddhisme n'est pas tenté parles entités éternelles, le bouddhisme n'est pas construit sur ce typede philosophie. Bien sur, je puis dire que je suis surpris car, lanotion d'impermanence qui marque la conscience devrait aller de pairavec la notion de limitée, de finie de cette conscience qui est parnature même, un élément conditionné par ce à quoi elle s'applique.
Jedirai encore que le fait que la conscience soit éternelle, au delà dufait que je ne vois pas tellement ce que ça veut dire, je ne vois pasnon plus à quoi cela peut bien servir, notamment dans la viséebouddhiste qui consiste à se libérer du cycle incessant desrenaissances.
Avons-nousune difficulté pour comprendre cette notion éternelle qui estintroduite ici ? Pour ma part je veux bien le reconnaître. Il n'y a paspar exemple de conscience de rien et pour rien. Dans cette notionéternelle veut-on dire qu'en tant que phénomène, la conscience à unecapacité d'advenir d'une manière naturelle et spontanée ce qui luiprocure ce caractère "absolu" ?. Peut-être, mais on ne connaît pas deconscience en dehors du sujet qui la perçoit et la conscience à priorine se perçoit pas elle-même toute seule en dehors de toute stimulation,donc tout cela rentre dans une chaîne de conditions.
Unseul facteur de duré est introduit par le bouddhisme, qui considère quesous l'effet de la dynamique égocentrique, la force de la volontéd'exister, la récurrence de l'envie et des désirs divers, permettent àdes composés psychiques de passer d'une vie pour continuer à s'exercerdans une autre vie.
Enaucun cas, aucune chose ne va réintégrer aucun "tout" d'aucune sorte.Ce sont les Hindous qui pensent cela, par exemple avec la notiond'atman. Ou bien ce sont les taosites chinois qui voient la résorbtionde toute identité, de toute individualité dans un tout global. Lesbouddhistes postulent l'anatman (anatta en pâli) qui est le contraire,à savoir l'absence d'entité supérieure et totalisatrice, quel que soitle nom qu'on lui donne.
Ace titre, les bouddhistes ne croient pas plus à la théorie éternaliste,qui verrai dans les phénomènes l'expression qu'une entité éternelle,infinie, immortelle, qu'à l'expression inverse qu'est le nihilisme.
Pour le bouddhisme toute chose est aniccadukkha et anatta,c'est-à-dire impermanent (éphémère, précaire, fragile, limité ...),conditionné (imparfait, inachevé, insatisfaisant, frustrant,douloureux, manquant, carrant, vacant, absent, ....) et sans soi propre.
Dequoi est-il question au delà de la problématique de la conscience ? Cequi est en question, à mon avis, c'est, une fois de plus, la mise enavant d'un concept supérieur, en contrepoint avec le courant même de ladoctrine bouddhique et qui paraît justement devoir échapper à toutcontrôle, puisque la conscience serait alors, dit-on, " illimitée ".
Quepropose donc fondamentalement le bouddhisme ? C'est justement de luttercontre ce mouvement infini, impossible à stopper, impossible àcontenir, cette roue du samsara, cet " éternel retour du même ", cetteincessante répétition des mêmes effets derrière les mêmes causes.
Lebouddhisme propose justement de sortir de cette dynamique et d'enstopper totalement et complètement le mécanisme. La flamme étantéteinte, il n'y a donc plus rien à consumer.
Certains,estiment donc qui si la conscience était sans limite, la conscience dubouddha historique serait quelque part. Or jamais dans le bouddhisme,vous ne trouverez aucun texte ou aucune affirmation de ce type.L'extinction étant totale et complète, il n'y a pas, nulle part, laconscience du bouddha historique.
Cettenotion de conscience est, me semble-t-il, l'un des points de ladoctrine qui fait l'objet du plus d'interprétations diverses au coursde l'histoire et au cours de la période présente. Je suispersonnellement assez surpris du poids considérable que semble vouloirdonner le bouddhisme zen à la conscience. Mais, mes connaissances danscette forme de bouddhisme ne me permettent pas de dire si cetteimportance est une des étapes de la méthode zen et si elle s'atténuepar la suite de l'enseignement.
Pourmoi la conscience est limitée même si, selon la littérature bouddhiste,elle n'est pas limitée à une seule vie. Si elle n'était pas limitéecomment serait –il possible d'atteindre le nirvana, l'extinctioncomplète ?
Tout être vivant, pour le bouddhisme, est une composition en permanent changement des cinq agrégats.Après l'agrégat de la matière, l'agrégat des sensations, l'agrégat desperceptions, l'agrégat des formations mentales, il y a l'agrégat de laconscience. Comme je l'ai déjà évoqué, il n'y a pas de conscience pourla conscience, ou de conscience pour rien, il y a la conscience dequelque chose, parce que la conscience, " c'est la conscience de l'œil,la conscience de l'oreille, la conscience du nez, la conscience de lalangue, la conscience du contact kinesthésique et la conscience del'organe mental ".
Pourle bouddhisme, d'une manière générale la question de la consciences'arrête là. Que certains courants ressentent la nécessité dedévelopper la notion de conscience et lui découvrir des attributs denature spéculative, semble renvoyer aux spécificités de chaque courant.
Vouspouvez également consulter une réponse assez complète faite au sujet dela nature de la conscience et des six sortes de conscience (Cf. question n°42).
J'espère avoir répondu à votre question.
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