La crucifixion
C’était, hélas, un mode de supplice bien banal à l’époque : la révolte des esclaves sous la conduite de Spartacus se solda par la crucifixion d’environ 6000 personnes; Néron fit crucifier plusieurs milliers de chrétiens de tous âges et, histoire d’apporter un peu de distraction, il faisait enduire leurs corps de résine, ce qui lui permettait de s’en servir comme flambeaux la nuit …
Pour tous ceux qui avaient eu l’occasion d’assister à ce supplice, la croix représentait un objet d’horreur, ce qui a duré plusieurs siècles, jusqu’à l’interdiction de la crucifixion par Constantin vers 320. C’est probablement cela qui explique l’extrême rareté des crucifix dans les premiers siècles ; il faut attendre le 5° siècle pour voir des crucifix, et encore représentent-ils Jésus habillé " posé " sur une croix ; ce n’est qu’à partir du moyen-âge que sont apparus les crucifix tels que nous les connaissons aujourd’hui.
Tous les condamnés portaient leur "croix" jusqu’au lieu du supplice ; en réalité ils ne portaient la plupart du temps que la pièce transversale de la croix, celle sur laquelle leurs mains allaient être clouées, pièce de bois qui s’appelait patibulum et qui a donné en français le mot patibulaire (‘qui mérite de porter une croix’). Ce patibulum était fixé sur un pieu vertical fiché en terre et qu ‘on appelait stipes. Le mot crux désignait au début un simple pieu planté en terre et petit à petit son sens a dévié sur celui du stipes, puis a désigné l’ensemble du bois servant à la crucifixion. Les condamnés portaient le patibulum en travers des épaules, les avant-bras attachés au bois par des cordes. Le poids moyen d’un patibulum pouvait atteindre environ 20 à 30 kilos, charge proprement écrasante pour un condamné qui venait déjà de subir une flagellation.
Les images relevées sur le Suaire sont très directement reliées au portement du patibulum :
L’épaule droite, dans sa partie externe, montre un rectangle d’environ 10 x 9 cm, oblique en bas et en dedans, sur lequel on trouve une accumulation d’excoriations superposées aux plaies de la flagellation. Un corps lourd et rugueux a pesé à cet endroit ; on retrouve ces mêmes images à la partie antérieure, sur la ligne claviculaire.
La pointe de l’omoplate gauche porte les mêmes marques.
Le genou droit semble plus contus que le gauche et porte de nombreuses excoriations de forme et de grandeur diverses, ainsi que 2 plaies arrondies d’environ 2 cm de diamètre à sa face supéro-externe.
Le genou gauche est moins abîmé, mais porte plus de traces de flagellation.
Toutes ces blessures ont probablement été produites par le port du patibulum sur l’épaule droite, appuyant sur l’omoplate gauche et aggravées par des chutes : chute d’abord sur le genou droit, puis la poutre retombe en arrière en frottant et écorchant l’épaule droite, la pointe de l’omoplate gauche. Il faut constater que les Évangiles rapportent le portement de la croix et que la tradition a perpétué le souvenir de 3 chutes sur le chemin du Calvaire.
Les bourreaux avaient un entraînement sérieux, on l’a bien compris à la lecture effarante du nombre élevé de crucifixions pratiquées du temps des romains ; la crucifixion était donc une action bien codifiée, réalisée rapidement et efficacement. Une fois arrivé au lieu du supplice, on déshabillait le condamné, on l’étendait en travers du patibulum, on enclouait une main, on tirait un peu sur l’autre que l’on enclouait ensuite, puis on faisait lever le condamné, on le dirigeait vers son stipes, on hissait le patibulum sur le stipes, on faisait plier les genoux du condamné et on enclouait les pieds sur le stipes. Le tout ne prenait que quelques courtes minutes à une équipe bien entraînée.
Quelles traces relève-t-on sur le Suaire aux endroits présumés de la crucifixion ?
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Le poignet gauche (le droit est caché par la main gauche) porte la marque d’une plaie (point rouge); elle n’est pas située en pleine paume, comme on a l’habitude de la voir sur les crucifix habituels , mais en plein carpe; ceci a intrigué Barbet qui a procédé à des essais de crucifixion de cadavres. S’il plantait le clou dans la paume de la main, le clou déchirait les muscles, ligaments et aponévroses de la main qui cédaient sous le poids et le crucifié tombait. Pour pallier cet inconvénient, il fallait planter le clou dans un espace solide, pouvant résister aux énormes tractions provoquées par la crucifixion (compte tenu de l’angle que faisaient les bras, la force qui s’exerçait sur chaque poignet d’un condamné équivalait à son poids environ et non à la moitié de son poids, comme on pourrait s’y attendre). En fait, il existe un espace anatomique, situé en plein poignet, connu sous le nom d’espace de Destot (au centre du cercle rose sur le schéma du squelette), répondant parfaitement aux besoins de la crucifixion (Radiographie d'un clou planté dans l'espace de Destot par le Dr Willis). La blessure relevée sur le Suaire correspond exactement à cet espace. C’est donc là qu’un bourreau connaissant son travail plantait infailliblement – et facilement - un clou qui fixait correctement le supplicié à son bois. De cette plaie partent deux traînées de sang (en jaune) qui se dirigent vers le coude, preuve que la main était située au-dessus du coude.
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Un détail a échappé à l’attention générale pendant des siècles : sur les mains du crucifié, on ne voit pas les pouces, mais seulement les 4 doigts de la main ; d’ailleurs, les artistes qui peignaient des représentations du Suaire avaient l’habitude de rajouter les pouces sur leurs toiles. Ce qui passait pour une omission correspond hélas à une torture supplémentaire pour le crucifié, comme l’a vérifié Barbet : au moment où le clou traverse l’espace de Destot, il provoque une lésion – mais non une section - du nerf médian dans sa partie motrice, provoquant l’abduction forcée du pouce vers la paume de la main ; malheureusement, il ne provoque pas de lésion de la partie sensitive du nerf, ce qui fait que pendant toute la période de son agonie sur la croix, le supplicié ressentait dans chaque main, poignet et avant-bras une douleur fulgurante névralgique, comparable à la douleur ressentie par la roulette du dentiste sur la pulpe dentaire ; ceux d’entre nous qui ont connu les soins dentaires avant la généralisation des anesthésies locales voient très bien de quoi je veux parler. On peut aussi comparer cette douleur à celle d’une sciatique. Chaque mouvement que faisait le condamné réveillait cette douleur fulgurante ; et des mouvements, il était bien obligé d’en faire, comme on va le voir.
Il a fallu attendre Barbet et ses expériences pour que le traumatisme du nerf médian fût connu. A lui seul, ce détail suffirait pour affirmer sans risque de se tromper que le Suaire est authentique et a renfermé le corps d’un supplicié par crucifixion.
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Le nerf médian est représenté en jaune et passe en plein milieu du poignet; l'espace de Destot se trouve juste à la limite de la dissection, à l'endroit marqué d'un rond bleu
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Sur la face postérieure des avant-bras (celle que l’on voit sur le Suaire), on distingue facilement des traces de sang cheminant du poignet vers le coude ; régulièrement ces traces se séparent en 2 coulées qui descendent verticalement (si on replace les bras dans la position qu’ils avaient sur la croix) ; ceci indique que le condamné était parfois suspendu de tout son poids à ses poignets et que parfois il prenait appui sur les pieds pour se relever un peu ; en effet, ainsi qu’on va le voir plus loin, la mort sur la croix se faisait par asphyxie et, tant qu’il en avait la force, le condamné cherchait à respirer en prenant appui sur ses pieds ; malheureusement, chaque mouvement pour échapper à l’étouffement déclenchait l’horrible douleur névralgique dans les nerfs médians lésés. |
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Angles que prenaient les bras au cours de l'agonie sur une croix (D'après Wilson).
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Examen des pieds : ils sont croisés, le gauche devant le droit ; ils sont en hyperextension : ils ont donc été fixés à plat sur le stipes de la croix. On voit nettement une plaie dans la face plantaire du pied droit, correspondant à la marque de sortie du clou ayant servi pour fixer les pieds. Cet espace, situé dans la partie postérieure du 2° espace métatarsien porte le nom du médecin qui l’a particulièrement étudié : le Docteur Mérat.
Il y a des causes indirectes : l’importante perte de vitalité résultant de la flagellation et des hémorragies qu’elle entraînait, le manque d’alimentation et de boisson qui entraînait rapidement une déshydratation avec son cortège de fatigue majeure, maux de tête, soif intense …
Mais il y a surtout une cause directe : l’asphyxie. Celle-ci est due à deux causes principales :
Un blocage mécanique de la cage thoracique par la position bras étendus et surélevés, blocage accentué par le poids du corps tirant sur les bras.
Une paralysie respiratoire due aux crampes des muscles respiratoires : diaphragme en premier lieu, mais aussi pectoraux, sterno-cléido-mastoïdiens, intercostaux. La paralysie de ces muscles entraînait une dilatation de la cage thoracique avec projection en avant du sternum et creusement de l’épigastre, refoulement des viscères vers le bas par le diaphragme entraînant un bombement de la partie basse de l’abdomen.
L’asphyxie entraîne elle-même une double conséquence : un appauvrissement du sang en oxygène et un enrichissement en gaz carbonique, avec pour conséquence une acidose, cause elle-même de transpiration profuse (aggravant la déshydratation) et de crampes musculaires. On remarque sur le Suaire des attitudes évocatrices de rigidité, comme nous l’avons déjà souligné : tête légèrement fléchie en avant, genoux légèrement ployés ; il faut savoir que la rigidité cadavérique débute environ 6 heures après la mort, devient maximale en 18 heures environ et cède au bout de 36 heures. Cependant, quand la personne est morte au cours d’un exercice physique intense et prolongé, la rigidité débute instantanément, comme l’attestent les constatations faites sur les champs de bataille : lorsque les combats furent extrêmement fatigants et durables, épuisants au sens vrai du terme, les soldats étaient pris de suite par la rigidité.
Vous me direz : comment connaît-on aussi bien les mécanismes de la mort sur la croix alors que la crucifixion n’est plus pratiquée depuis l’an 320 ? Hélas, nous avons 2 sources de renseignements : la première est constituée par les décès qui survenaient autrefois au cours des crises d’asthme aiguës, avant que nous ne disposions des médicaments actuels, la deuxième est faite de témoignages recueillis auprès de témoins qui ont assisté à des punitions au cours de la première guerre mondiale ou à des exécutions à Dachau, sinon sur une croix, du moins par pendaison par les mains. Je cite Barbet " on voit donc le patient, la poitrine distendue, présenter tous les symptômes de l’asphyxie. Sa figure rougit, se violace ; une sueur profuse coule de son visage et de toute la surface de son corps. Si l’on ne veut pas faire mourir le malheureux, il faut le dépendre ".
Le malheureux supplicié n’avait le choix qu’entre deux positions : il se laissait aller en mettant le poids de son corps sur les clous plantés dans ses poignets et il se mettait rapidement à asphyxier ; pour respirer un peu, il appuyait sur les clous de ses pieds et se relevait de quelques centimètres, ce qui lui permettait de reprendre un peu son souffle, mais au prix d’un effort intense et épuisant ; et, bien sûr, tout cela accompagné sans interruption de la douleur dans les nerfs médians, de crampes incessantes dans tous les muscles, de la douleur des coups reçus pendant la flagellation, de la soif intense … Quand on réfléchit à ce que pouvait être une crucifixion, on reste anéanti, nauséeux.
Parfois les bourreaux avaient pitié des suppliciés et leur brisaient les jambes à coups de barre de fer. Ceux-ci, ne pouvant plus prendre appui sur leurs jambes pour respirer, ne mettaient pas longtemps à mourir d’asphyxie. les Évangiles nous rapportent que c’est ce qui arriva aux deux larrons crucifiés en même temps que Jésus. Mais, nous disent encore les Évangiles, arrivés à Jésus les bourreaux le trouvèrent déjà mort, aussi, ils ne lui brisèrent pas les jambes mais lui donnèrent un coup de lance dans le côté et, ajoute saint Jean, qui était présent, " aussitôt il en sortit du sang et de l’eau ".
Nous avons vu toutes les marques de l’agonie par crucifixion sur le Suaire : la poitrine dilatée, les pectoraux contractés, le creux épigastrique enfoncé, le bas de l’abdomen dilaté ; nous avons vu aussi une plaie ovalaire de 4,5 x 1,5 cm à la partie droite du thorax.
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Ce crucifix a été réalisé par le Docteur Charles Villandre, chirurgien à l'hôpital Saint Joseph à Paris, dont les compétences artistiques valaient les connaissances médicales. Il a sculpté cette oeuvre selon les recommandations du Docteur Pierre Barbet. Il représente aussi précisément que possible la réalité de la crucifixion de Jésus de Nazareth.
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